ENTRETIEN : CHRISTIAN RIZZO, « CONVOQUER L’AUTRE POUR QU’ON ENTAME UNE ECRITURE »

CRizzo Fumée - marc domage

Entretien : Christian Rizzo, « Convoquer l’autre pour qu’on entame une écriture ».

Christian Rizzo, le nouveau directeur du Centre Chorégraphique National de Montpellier Languedoc-Roussillon (CCNMLR dans son beau nom poétique) est programmé dans le cadre de la saison de Montpellier Danse avec le spectacle D’après une histoire vraie. Dans une ambiance à la fois apaisée et dynamique, nous sommes invités à découvrir le projet du nouveau directeur autour d’un petit déjeuner qui réunit élus, artistes, journalistes et autres partenaires de la danse à Montpellier. Explications du projet par l’intéressé :

Christian Rizzo : Quoi dire ? C’est une journée assez spéciale pour moi puisque à l’invitation de Montpellier Danse on présente D’après une histoire vraie. Comme au foot, on joue à domicile, on va se rencontrer. La dernière fois qu’on s’est vu c’était en 2012 et depuis je suis devenu directeur du CCN*. Je suis un peu là avec tout mon désir et aussi avec mon émotion.

Le début de ma carrière en tant que chorégraphe date de 2000. Je suis un jeune chorégraphe à la barbe blanche ! Nous avons un beau projet qui est de donner une vision très transversale : traverser, faire traverser et être traversé par les grandes fabriques qu’on va constamment remettre en jeu.

Quand j’ai écrit le projet, j’ai pensé un lieu avec deux entités : d’abord « l’Académie Expérimentale » qui sera le regroupement de toutes les pratiques où l’on collecte le savoir du geste chorégraphique. Cela se fera autour de mes créations, mais aussi des résidences, des accueils, de la formation Ex.er.ce**… : tout le CCN devenant ressource pour les compagnies qui sont accueillis mais aussi une ressource de communication ou une ressource technique pour les compagnies régionales.

En parallèle nous travaillerons sur un projet qui s’appellera « Prospective Numérique ». C’est un projet qui prend du temps. Il ne faut pas se jeter sur les outils numérique. On veut un projet de plateforme de processus, un lieu d’échange de processus créatifs qui servira pour la création artistique, l’action culturelle, la recherche… C’est surtout de penser la question des processus à l’air du numérique. L’avenir du numérique ce n’est pas tant les outils mais le système de pensée. Quel système de pensée nous paraît important et de choisir son outils en fonction de ça. Il y a des capacités de mémoires tellement dingues qu’on est en train de perdre la notre. Le flux de l’information est tellement énorme qu’il faut interroger ce flux constant de l’information ou de la communication. C’est ça que les plateformes peuvent mettre en jeu.

Le projet c’est le Centre Chorégraphique. Ce n’est pas juste d’offrir des matériaux de danse mais c’est aussi des pratiques d’écritures via des logiciels. La capacité de fabriquer des plateformes ne doit pas exclure l’idée que ce sont des projets numériques. Le plus gros du projet c’est l’open source : entrer dans un dialogue avec des artistes et des chercheurs qui sont prêts à ouvrir leur recherches en open source et non en copyright. Pour que ce soit accessible à chacun. C’est quand même du public, c’est quand même des échanges. On ne peut pas ne pas, pour citer Beckett.

Face à ça, c’est bien joli de collecter les savoirs mais il faut les partager. J’ai affiché ce mot : Caravansérail : entrer avec un savoir et repartir avec un autre. Ca passe aussi par le travail qui est fait en région, il faut décentraliser le projet du CCN sur un territoire beaucoup plus large. Dès la rentrée on va aussi rétablir des pratiques de danses ouvertes.

Il y a ces deux pôles : L’Académie et le Caravansérail qui constituent les Institut Chorégraphiques International, j’aime les jeux de mots, cela donne ICI. Il faut vraiment penser la question du territoire pour que les pratiques aient lieu. Qu’est ce qu’une pratique ? Attention, tout est en train de se faire, nous ne sommes arrivés qu’au 1er janvier. Le projet sera ouvert à la rentrée pour poser les fondations sur les fondations qui existent déjà. Beaucoup de choses ont été faites, j’arrive pour les trente ans.

Je connais bien Mathilde puisque la première fois que j’ai dansé, en 1991, c’était avec Mathilde Monnier. En même temps, on est travaillé chacun dans des sens très différents : quelque chose suit son cours (je suis très Beckett aujourd’hui!). Je ne suis pas arrivé en me disant tabula rasa : je sais de quoi je suis fait, je suis construit de quand même beaucoup de gens. Tout ça est une question d’histoire et m’interdire ma propre histoire ne me construirait pas. Maintenant, après l’histoire, j’aimerais m’attaquer à la géographie ! C’est pas de ma faute, je m’appelle Rizzo : je veux avoir une cartographie rhizomique. Comme tout héritage, j’espère à la fois le garder sans qu’il ne devienne un poids.

Je me suis posé la question : si je n’étais pas moi-même directeur, où est-ce que j’aimerais qu’on m’invite ? J’ai eu la chance de bénéficier de ses réseaux. J’ai plus réfléchi en terme de compagnie. Ma compagnie, L’Association Fragile, qui va se mettre en sommeil (ce que je trouve assez beau), avait un projet polymorphe. Je trouve ça génial de faire entrer tous ses projets dans une seule et même maison. Ca a été ça de construire le projet : prendre tous ses livres qui étaient dans des cartons et les ranger dans une seule et même bibliothèque afin de pouvoir les partager.

Je me bat avec le temps : le CCN a mis trente ans à se construire. A l’époque où elle a été nommée, je travaillais avec Mathilde Monnier et elle a mis du temps à mettre en place son projet. La question d’une plateforme numérique n’arrivera pas en septembre, tout ça va se construire. Je parle plus de ce que j’aimerais atteindre, pour l’instant mon premier mandat est un mandat de 4 ans. C’est à la fois long et en même temps très court. Ca a bien pris ces quatre ans là dans le Pas-de-Calais pour stabiliser, poser un projet et le rendre visible. Mais je sais que ça va aussi très vite.

Comment être constamment sur une double histoire : une histoire des pratiques anonymes et une histoire d’auteur. On ne peut pas faire l’impasse de ses deux pôles. On ne peut pas séparer le savant du populaire, l’auteur de l’anonyme.

Avec Rodrigo*** on entame le dialogue, ça fait deux mois que je suis là… On s’est rappelé qu’on a été dans les même festivals un peu obscure et underground au Portugal au démarrage. On a un certain goût commun. Il y a des choses à faire ici, mon désir est extensible mais mon temps, pas trop ! Pour l’instant on commence à préparer le terrain, avant de planter puis de faire germer les graines ! Ce n’est pas tant d’imposer des initiatives, l’enjeu est de faire rencontrer le numérique et la ruralité. Est-ce qu’on ne peut pas faire des extensions avec la formation, les jeunes étudiants, disséminer d’autres alternatives ? Mais il faut prendre le temps de rencontrer les gens, de poser les choses ensemble et de ne pas imposer les projets. Ce sont des rencontres que je veux absolument mener. La question des territoires englobe aussi cette fameuse grande région qui va apparaître. Quid ? Qu’est ce qu’il y a ? Il se trouve que j’ai vécu longtemps à Toulouse où j’ai pas mal de partenaires. Le CCN et MontpellierDanse ont la chance d’être vraiment les acteurs de la danse de cette grande région.

Au delà de la Région, je veux aussi continuer sur des projets à Taiwan, en Corée, au Japon. Ce que je trouve hyper intéressant dans un territoire c’est de se poser la question des frontières. Il y a des frontières, super, qu’est ce qu’on en fait ? Qui dit frontière dit porosité.

Des projets peuvent mettre du temps à être visibles, et ce n’est pas des questions financières, c’est une constellation, la totalité du projet qui me paraît réjouissant, avec des étoiles qui scintillent énormément et d’autres un peu moins. C’est presque une écriture musicale du terrain, il faut qu’il y ai des notes forte et d’autres à peine audibles. Sinon, il n’y a pas de musique sensible, belle ou forte. Sinon c’est le chaos et je crois à la force de l’écriture contre le chaos. A l’endroit où je suis, j’ai une voix qui est un peu moins anonyme et j’ai cette responsabilité d’écrire quelque chose qui est dans le partage. Convoquer l’autre pour qu’on entame une écriture. J’adore le mot de douter, c’est ça que j’aimerais partager. Je sais que je doute et je sais que je doute avec un sourire et une énergie très grande.

Le nerf central c’est la création. Je vais présenter un spectacle en décembre 2015, une création pour le festival 2016. On a pensé la création par la pédagogie, par la recherche, par le territoire. Ma place créative innerve tous les domaines et se partage avec des artistes et du public. Tout ça est déjà à l’oeuvre. Je me déplace avec ce que je faisais dans le nord, avec ma bibliothèque.

En lien avec le nom de mon projet ICI, on va renommer les « ]Domaines[» « Par ICI ». On va inviter des artistes pour qu’ils aient une vision oblique sur leur travail mais il y aura aussi des conférences, des thématiques. Par exemple, je m’intéresse à la fiction dans l’espace chorégraphique donc je me dis que j’ai envie qu’il y ait un Par ICI la fiction. Mais j’espère qu’assez vite on va avoir des artistes associés sur une durée d’au moins deux ans, qu’ils fassent partie des enjeux de ressources, qu’ils enseignent, ce qui est une première pour un CCN. Laurent Pichot devient à partir de septembre un artiste chercheur associé à la formation.

Pour Ex.er.ce, ça reste tel quel mais ça va bouger ! On a décidé de travailler avec un groupe beaucoup plus petit. Plutôt que d’avoir des équipes qui viennent pour deux ans, on va faire entrer tous les ans deux petites promotions. Que les promotions se croisent, de garder une arrivée et d’avoir une sorte de tutorat en interne. Ce qui nous permettra aussi de libérer plus de temps en seconde année pour leurs projets personnels. J’ai envie qu’on mette un petit peu plus l’accent sur des questions techniques : la scénographie, la lumière, le son, de faire intervenir la question de l’image. L’objectif, c’est ça…

Retranscription, ajustement et sélection des propos par Bruno Paternot

* Le Centre Chorégraphique de Montpellier n’a connu que trois directions : Dominique Bagouet à partir des années 80, Mathilde Monnier prend la relève en 1994 puis Christian Rizzo depuis le 1er Janvier 2015.
** La formation professionnelle Ex.er.ce est un master pratique de danse, proposé et mis en place par le CCNMLR en partenariat avec l’université Paul Valéry Montpellier III
*** Rodgrigo Garcia, nouveau directeur du CDN de Montpellier, qu’il a rebaptisé Humain trop Humain.

portrait christian 2012 m domage

Photos Marc Domage

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