2716,43795 m² : FABRICE HYBER PROLIFERANT AU CRAC DE SETE
FABRICE HYBER, « 2716, 43795 M2″ – Commissaires de l’exposition : Noëlle Tissier et Bernard Marcadé / CRAC, Sète / du 26/06/2015 au 20/09/2015.
Autant le dire tout de suite, la grande exposition monographique que consacre à Fabrice Hyber le Centre d’art contemporain de Sète est surprenante à plus d’un titre : au-delà du fait que l’expo retrace près de trente ans de travail pictural, avec plus de 170 oeuvres dont certaines « historiques », autant d’icônes de l’oeuvre peint de l’artiste, l’accrochage, lui, est tout simplement époustouflant, un cabinet de curiosités à l’échelle XXL qui squatte le moindre m2 disponible des murs du centre d’art, 2716,43795 m² exactement.
Du spectaculaire, donc. On pourrait gloser à l’infini du bien-fondé d’un tel parti-pris, mais force est de reconnaître qu’il fonctionne plutôt bien. Le choix des commissaires d’exposition d’aligner ainsi autant d’oeuvres les unes sur les autres, certes, peut perturber la lisibilité de chaque objet. En fait, la cohérence de ce dispositif avec la nature même du travail de Fabrice Hyber éclate au premier regard. Tout le travail de l’artiste porte en lui cette prolifération monstrueuse, son oeuvre tout entier rhizome à l’infini. Et depuis toujours, à en juger par les premiers essais timides datés de 1981, qui déjà exprimaient en germe ce qui allait devenir la « marque » Hyber. Une « marque » que l’on peut résumer en gros à quatre grands principes généraux : de l’utopie, de la prolifération, de la peinture qui « fait » peinture, du sous-texte.
Car l’aventure picturale singulière de Fabrice Hyber instruit un système parfaitement structuré et identifiable, qui « signe » à coup sûr chaque objet produit, qu’il fut peinture, sculpture ou installation. La circulation des idées et de la matière est au centre du travail. Une contamination de chaque instant qui nourrit une pensée circulatoire et perméable, virale, fascinée par les modes opératoires de la bactérie ou du virus, appliqués aux Beaux-arts. L’intérêt d’ailleurs que porte Hyber aux sciences et à la médecine est patent. Il s’exprime depuis toujours dans son oeuvre, de manière littérairement affirmée, formellement toujours implicite. On connaît ses fameuses « Peintures homéopathiques » notamment, mais une quantité d’exemples sont là pour nous rappeler cet attachement à la chose scientifique et aux sciences dites naturelles.
Ensuite, il y a cette constante tout à fait révélatrice de la « pensée » hyberienne, cette fécondation féconde du vivant et de l’artificiel, de l’art et de l’artefact. Ainsi, bien sûr, de cette fluidité des liquides parfaitement repérable, tant dans la forme -nappes « aquarellées » et transparences des jus d’une peinture liquide- qui vient surprendre l’oeil dans une circulation entre éléments peints et ajouts matériels, entre images et imageries, entre signes et signaux, toujours dans cette obsession du dévoilement et de la transparence, que dans le sous-texte. Une fluidité picturale qui renvoie bien sûr à la nomenclature des émissions corporelles, des jus sexuels ou des lâchés urologiques. Bref, en deux mots, une peinture toujours libératoire, qui exprime, au sens biologique du terme, évacue, transpire et pisse.
Un truc peut-être récessif, en tout cas jouissif, qu’accompagnent à merveille les circonvolutions d’un cerveau aux aguets, en mouvement, qui fabrique en permanence ce fameux « sous-texte » dont nous parlions, véritable poésie au sens étymologique du terme, un jeu de la langue qui vient compléter celui tout aussi sexuel des sécrétions et des liquidités. C’est aussi, quelque part, une posture politique, au sens noble du terme, une affirmation d’être social, peut-être même la seule fonction que se doit l’artiste de « tenir » en ce monde : « L’affirmation du jeu, des glissements est la seule puissance capable d’assimiler les intégrismes. Les échanges, le commerce, l’image, la poésie sont les moyens de l’osmose. C’est par eux que peu à peu se met en place tous les moyens de multiplier la vie au-delà de la mort. Il est nécessaire de mixer le temps, revaloriser les produits, concevoir que les œuvres meurent pour être assimilées puis revisitées. Une œuvre n’est absolument pas prémonitoire, elle est toujours ici. »
Obsession du temps donc, de la langue, de l’altérité, de la circulation et des contaminations : de la pensée, des savoirs, des idées. L’oeuvre de Fabrice Hyper est un univers en soi, une Babel multiple, protéiforme et proléfirante. Sa peinture ici exposée en est l’éclatante démonstration. Ici, au CRAC, cet ensemble de pièces parfois inédites, en tout cas souvent méconnues, exprime parfaitement le monde complexe et perméable qui nous tient. Surtout, l’oeuvre peint de Fabrice Hyber en dit magnifiquement la subtile beauté et son incroyable transversalité, une force virale qui se déploie à l’infini. l’Infini, selon Fabrice Hyber.
Marc Roudier
Visuels : Exposition monographique 2716, 43795 m2 – Fabrice HYBER – E-Mortel, 2010 – Fusain, résine époxy, peinture à l’huile , papier marouflé sur toile – photographie Marc Domage – Courtesy Fabrice Hyber et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles