FESTIVAL D’AVIGNON. « SANS TAMBOUR », MAIS PAS SANS TALENT NI FRAÎCHEUR

sans tambour

76ème Festival d’Avignon – « Sans tambour » – Mise en scène : Samuel Achache – Direction musicale : Florent Hubert – Cloître des Carmes les 7, 8, 9, 11, 12 et 13 juillet 2022

Dès l’entrée dans le cloître notre curiosité s’éveille. Que va-t-il se passer dans cette maison en construction qui recouvre le plateau sur deux niveaux ?

Tout commence par la destruction d’un mur par un homme excédé. Une vraie destruction d’un vrai mur, à coups de masse assénés violemment, qui recouvre la scène d’un tas de gravats et qui révèle un couple dans une cuisine au bord de la scène de ménage. La femme rêve d’amour et de découvertes et menace de quitter son mari, un grand dégingandé dans un survêtement trop étroit qui se soucie avant tout des factures et de l’évier bouché.

Le ton de la pièce est donné lorsque des musiciens, apparus sur scène, accompagnent les mots de cette scène de ménage par une musique et des sons particulièrement expressifs qui en disent plus long que les mots eux-mêmes. Car il s’agit ici de ce qu’on peut qualifier de théâtre musical. Tout au long de la pièce, les mots, le jeu des acteurs et les instruments vont s’entrecroiser avec comme fil conducteur des lieder de Schumann dont des fragments vont apporter une profondeur et une touche de poésie à cette pièce avant tout humoristique, voire déjantée, qui ne ménage pas les surprises. Ces cinq instrumentistes, au travers d’instruments aux sonorités les plus variées – saxophones ; clarinettes ; flûte ; violoncelle ; piano ; accordéon – s’expriment par de simples bruitages, par un soutien expressif du jeu des acteurs ou simplement pour accompagner dans le plus pur style classique la soprano Agathe Peyrat dans son interprétation de lieder de Schumann.

Nous comprenons vite que le thème de la pièce est la rupture. Une rupture sentimentale accompagnée d’une destruction de la vie passée. Nous assistons ainsi à une succession de scènes burlesques, avec une touche de Buster Keaton, mais un Buster Keaton parlant, avec des répliques et des gags qui tombent toujours juste et déclenchent le rire dans le public.

Le mari délaissé et accablé, interprété par Lionel Dray, observe toutes ces divagations d’un air contrit, pour ne pas dire ahuri, et inspire une certaine empathie quand il parle à son cœur et veut refaire le monde tout en restant enfermé dans son monde étriqué.

On ne peut résister aux facéties de Léo-Antonin Lutinier, personnage étonnant qui va jusqu’à recevoir un piano factice sur la tête, à se retrouver confronté à d’inquiétants médecins dans une clinique qui soigne les âmes et qui se lance dans une parodie épique de Tristan et Yseult avec Sarah Le Picard, assoiffée de rêves et d’aventures. Un Léo-Antonin Lutinier fantasque qui apporte tout à coup apaisement et émotion quand il se met à interpréter des fragments de lieder de Schumann avec sa belle voix de contre-ténor. Fragments car là aussi il y a rupture dans l’exécution de ces lieder, une rupture de la beauté dans cette mise en scène où tout paraît instable, éphémère, fragile.

Samuel Achache aborde avec humour la question de la rupture, de la destruction du passé, préalable nécessaire à une reconstruction, mais cet humour laisse comme un arrière-goût amer, en particulier au travers de ce dépit amoureux si bien exprimé dans ces fragments de lieder de Schumann. Cette pièce inclassable apporte comme un air de fraîcheur au programme de ce Festival par une association réussie entre le théâtre et la musique, entre un burlesque toujours très fin et des moments de tendresse et d’émotion.

Jean-Louis Blanc

Photo C. Raynaud de Lage

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