TNBA BORDEAUX : « ANDRE » DE MARIE REMOND, OU LES TRIBULATIONS D’UN ENFANT DE LA BALLE

andré

ANDRE / mes Marie Rémond / TnBA Théâtre National Bordeaux Aquitaine / jusqu’au 29 mars 2013.

Le Tennis mène à tout … à condition qu’on s’en sorte. Mais lorsque l’on n’a jamais, oh non jamais de la vie, souhaité y rentrer, alors les choses deviennent affreusement compliquées…L’itinéraire de l’enfant gâté (au sens biologique du terme) André Agassi, champion mondial de tennis, est là pour en témoigner …

Fils d’un géniteur qui ne voit en lui, dès son plus jeune âge, qu’un virtuel réalisateur de ses propres désirs déçus, il va devoir passer sous les fourches Caudines du tyran paternel, assoiffé de faire de lui le champion des champions. Le pauvre petit voudrait rester au sein de sa fratrie ? Non, il devra s’exiler pour être entraîné par un super coach doté d’une splendide paire de ray bans qui, tout en dissimulant sa vue (qu’il a très court…e), affiche son arrogance aboyeuse. Et les quelques milliers de dollars à verser par le père à cette petite « fabrique » de champions n’est à concevoir que comme une avance sur recettes : le retour d’investissement escompté viendra de loin dédouaner le sacrifice (financier) consenti …

Et le petit André a beau protester devant son bol de céréales, il a beau dire et répéter que lui, il veut pas, il a beau trépigner de rage face à cette perspective de cage dorée qu’on lui offre sur un plateau et même, dans un lâcher prise phénoménal, « monter au filet » pour laisser échapper le mot de Cambronne, rien n’y fait, le père est inflexible : « Champion j’ai décidé, champion tu seras mon fils.»

Dès lors, soumis à un matraquage de tous les instants, chaque facette de sa personne est façonnée afin qu’elle réponde, au millimètre près, au cahier des charges de la fabrication manufacturée du parfait tennisman. Conditionnement physique où on lui demande de se présenter dans une attitude impossible à tenir afin d’asservir son corps, conditionnement psychologique où on exige de lui qu’il répète son nom avec le ton agressif (mais point trop) qui convient afin de dompter son esprit en le vidant de toute émotion qui lui serait propre et qui lui rendrait son statut d’être humain singulier.

Mais l’intrusion dans sa « formation » est telle que les impératifs liés à son statut de champion vont déborder le cadre du court pour envahir celui de sa vie (très) personnelle. Soucieux de son « équilibre » sexuel, son « bien-veillant » coach va se mettre à la recherche d’une star du showbiz pour qui, détail superflu, il n’éprouve aucune attirance, lui qui n’a d’yeux que pour Steffi Graf, la joueuse n° 1 du tennis féminin ! (Comme quoi le conditionnement a fonctionné au-delà même des espérances …).

Quand les mots sont impuissants à dire parce que personne ne veut leur prêter la moindre attention, il ne reste que le corps pour « parler ». Et André de confier les injections de cortisone à répétition où l’aiguille doit être plantée, et retirée plusieurs fois, jusqu’à ce que le bon angle de pénétration soit trouvé afin que les substances soient diffusées assez proches des nerfs à vif, mais sans les toucher cependant, au risque de créer une douleur extrême… Le dos bloqué, le bras et le poignet faits de chairs en feu, absent à son propre corps si ce n’est à la douleur qui lui rappelle son existence, il est là, abandonné sur le court, avec l’injonction de se battre jusqu’à … la victoire sans laquelle il ne serait plus rien.

Ainsi, ce héros du tennis mondial, qui a dominé sa discipline de la tête (souvenez-vous de ses longs cheveux blonds retenus par un bandeau) et des épaules pendant près de deux décennies, a-t-il remporté tous ses succès « à son corps défendant » ! Qui plus est, il n’a jamais voulu être ce héros que tout le monde célébrait et a voué de tous temps au tennis qui l’a porté aux nues une haine indéfectible … Toute son énergie vitale était en fait de se défaire d’une histoire qui n’était pas la sienne et à laquelle il avait, contre son gré, affaire. Tuer l’enfant idéal où se rassemblaient les vœux du Père, c’est dans ce lieu tenu secret que s’enracinait paradoxalement l’énergie de celui qui volait de victoire en victoire comme pour mieux dire sa rage de ce qui l’aliénait et tenter en vain de s’en affranchir.

Et le vrai miracle ce soir, ce n’est pas sur le court qu’il a eu lieu : c’est sur la scène du théâtre du TnBA où Marie Rémond, créatrice de la pièce (dont l’écriture résulte d’un travail collectif avec ses partenaires, Clément Bresson, Sébastien Pouderoux et Laurent Ménoret), incarne un formidable André Agassi tout en fragilité. Le regard à la fois innocent, perdu, et plein d’incrédulité par rapport aux souffrances infligées, est parfaitement rendu. On a l’impression d’une bête aux abois, traquée par des « chasseurs à court » ne laissant aucune chance à leur proie de leur échapper. Même si l’humour est toujours là pour détendre l’atmosphère et relâcher « la pression ».

Cette « fable réelle » sur les conditions inhumaines qui fabriquent, ici contre sa propre volonté, un super champion trouve une résonance au-delà même de la sphère du sport de haut niveau. Le milieu théâtral et plus largement celui du spectacle, lieux aussi de préparation à la représentation, peuvent parfois aussi générer, au-delà de la liberté qu’ils revendiquent haut et fort, de tels dérapages où ce qui compte, quel qu’en soit le prix humain à payer, c’est le résultat ; les « acteurs » et « actrices » n’étant que des idoles de circonstance, construites, utilisées puis rejetées par leur créateur et/ou le public en quête de nouveautés performantes.

Etait-ce, aussi, dans le dessein de cette (belle) troupe de suggérer cette filiation entre ces deux mondes, celui du sport de compétition et celui du spectacle vivant, en portant à la scène les tribulations de cet autre « enfant de la balle » qu’était André Agassi ?

Yves Kafka

Photo DR

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