TRIBUNE : MERCI CIVITAS

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TRIBUNE : Merci Civitas.

Merci les intransigeants,
merci les paresseux de la pensée,
merci les triste-mines.
Grâce à vous, grâce à votre intolérance et à votre envie d’en découdre, certaines œuvres trop méconnues et pourtant nécessaires ont eu accès aux grands médias et suscitent la curiosité d’un public qui a besoin d’être titillé pour sortir des sentiers battus. Grâce à vous les rétrogrades, les éditions du Rouergue et leur fameux Tous à poil!, Arte et la diffusion de Tomboy ont battu tous leurs records de vente et d’audience. Continuez de râler dans vos coins, cela fait du bien à la parole forte qui, dans un grand mistral d’intelligence, balaye vos piailleries d’arrières-cours.

Mais depuis quelques mois, vous décevez. Vous décevez pour trois raisons : votre goinfrerie, vos choix, et vos alliances.

Normalement, le conservateur extrême est exclusif. Il se mobilise pour des autodafés liés à ses marottes : la religion, Dieu, éventuellement la pédophilie… Sorti de ce champ relativement étriqué, il ne s’offusque que moyennement, ronchonne dans son coin mais ne se déplace pas. Ainsi, quand le Sancta Susanna, opéra en un acte de Paul Hindemith sur livret de August Stramm est monté, cette histoire de religieuse qui découvre l’extase sensuelle (quand bien même fut-ce avec le Christ), l’entrée en salle est souvent bloquée ou empêchée par la bonne famille sanctifiée. La force de nuisance est donc réduite à un seul champ de la pensée : le lien au sacré.

Mais, depuis quelques mois et les polémiques du mariage pour tous, vous vous faites moins exclusifs. Le spectacle Tragédie d’Olivier Dubois, dont on ne parle que parce qu’il serait choquant ne traite nullement de religion. On le conspue car on y voit des corps nus et que ce serait une atteinte aux bonnes mœurs. Le glissement du reproche, de la méprise du sacré au refus d’un sois-disant mauvais goût ne doit pas être accepté et il est important de rappeler que si la critique d’un spectacle est nécessaire, son interdiction est dangereuse.

On entend déjà ici poindre le reproche de la débauche d’argent public, gaspillé en étalage d’obscénités horribles. Le bon goût ne se décrète ni ne se monnaie. L’esthétisme, la volonté de faire du beau devrait revenir au goût du jour? Peut-être, mais ce n’est pas en interdisant les autres formes que les intégristes arriveront à imposer leurs propres goûts. Faites, vous aussi, des propositions avant de vouloir interdire celle des autres.

Car on assiste aujourd’hui à des volontés de nuisance sur des œuvres majeures, quand, il y a quelques années, on s’en prenait à des trublions. Un Stéphane Guillon n’est pas l’équivalent d’un Rodrigo Garcia. Les caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo ne sont pas du même niveau que les œuvres de Romeo Castellucci. Comment reprocher de s’indigner devant la médiocrité ? Aujourd’hui, une partie grandissante de la population s’indigne devant l’intelligence.

Cette partie est grandissante car plus visible puisque plus unie. Le gouvernement socialiste aura réussi ce tour de force : que tous les fachos du monde se donnent à présent la main contre leurs réformes sociétales. 1 500 ans de guerres de religions ont été effacées en un tour de Taubira et voici maintenant les barbus et les cathos qui se liguent les uns avec les autres contre toutes sortes de différences.

Comment lutter contre ce phénomène ? Comment endiguer le repli sur soi ? En parlant, en diffusant, en débattant. Nous avons le devoir, nous citoyens, d’analyser, d’expliquer, de discuter. De nous énerver aussi ! Et nous avons l’obligation de proposer ces œuvres, toutes ces œuvres à toutes les populations. Ouvrons les salles des théâtres, quitte à ce qu’il y ait du sport. Vive la bataille et comme le disait Pasolini, jetons notre corps dedans, ça prouvera qu’on est vivant, bien vivant.

Bruno Paternot

Visuel : Olivier Dubois « Tragédie » / Photo DR

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