MALTA FESTIVAL POZNAN : MARCELO EVELIN, « DE REPENTE FICA TUDO PRESTO DE GENTE »

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Envoyé spécial à Poznan, Pologne.
MALTA FESTIVAL POZNAN : De repente fica tudo preto de gente / Demolition inc.& Marcelo Evelin / Malta Festival Poznan / Centre culturel de Zamek/ 20 et 21 juin 2014.

Le 20 et 21 juin le chorégraphe et danseur Brésilien Marcelo Evelin signe une performance où la question de la communauté humaine et du vivre ensemble est inscrite au cœur de cette recherche en acte époustouflante. Pendant près de 60 minutes, performeurs et spectateurs partagent un même espace, où subsistent malgré tout deux entités distinctes. De repente fica tudo preto de gente donne à voir, sur un mode quasi-onirique, quelque chose de non visible ni lisible au demeurant, et qui, pourtant, produit la différence même.

D’emblée, à l’approche de l’aire de jeu, le Memento Mori livré par Pascal Rambert survient en mémoire, avec ces corps phosphorescents qui surgissaient peu à peu de la pénombre. Le leit motiv de cette chorégraphie enlaçait alors son titre : « souviens-toi que tu es mortel ! ». Mais les traces laissées par ces bergers d’Arcadis furent d’une uniformité si navrante que ni la mort, ni l’exaltation du vivant, ne trouvèrent prise au cours de cette chorégraphie aux accents métaphysiques creux, toujours très proche de l’insipide.

En revanche De repente fica tudo preto ose exactement l’inverse et quelque chose d’autre, disons de santé, d’avenir, de croissance, de puissance, de vie prend forme au fil de cette danse démente. Elle parvient d’ailleurs à exposer au grand jour absolument tout ce qu’on a de bonnes raisons de tenir caché : l’exclusion sociale.

Un carré composé de néons à mi hauteur humaine dessine d’entrée de jeu l’espace scénique. Chacun est invité à pénétrer sur scène et à se placer en périphérie, celle-ci se délimitant par des lumières colorées. Celles-là se teintent, passent vivement du jaunâtre au bleuâtre. La salle est plongée au sein de l’obscurité, apparait au creux de cette nuit, au centre même une masse nue mouvante qui enfante subrepticement chaque nuance de l’obscurité. D’autre part une composition musicale électronique très rythmée où s’injectent de fortes basses délivre une cadence et une inspiration viscéralse.

L’attention, presque instinctivement, se focalise au niveau de cet amas humain qui se déroule, rampe au sol puis se jette de chaque côté. Dès lors, les spectateurs sont obligés d’opter pour le déplacement, effectuant leurs propres translations. Chacun doit être attentif aux moindres interstices de cette chorégraphie, au risque d’heurter un danseur ou encore d’obstruer l’élan vital de cette meute sombre. Cette masse informe à peine discernable est imbibée de poudre noire, et pourtant elle roule de part et d’autre tel un immense tonneau roulant. Elle scintille par instant, modulant son coloris en fonction de la luminosité des néons. Les spectateurs s’agglutinent autour de son mouvement, animés par la curiosité ou simplement apeurés. Quelque chose de l’ordre du combat surgit au sein de cette diversité de regards.

Au cours de cette performance, des protagonistes se détachent, tourbillonnent dans l’espace commun de jeu, certains bavent, d’autre convulsent, leurs mouvements sont à la fois très structurés et totalement anarchiques. Une mise en scène de la grande douleur, cette longue, lente douleur qui prend son temps, obligeant les spectateurs à descendre dans leur ultime profondeur et à se défaire de tout camouflage.

De repente fica tudo preto de gente fait explicitement référence à l’ouvrage d’Elias Canetti intitulé « Crowds and power » et au philosophe Giorgia Agamben, au travers de son analyse de « l’homo sacer ». Cette pensée analyse notamment la notion d’exclusion sociale, prenant par exemple le fait qu’une personne en marge (Rom, noir, homosexuelle…) peut être dès lors éliminée physiquement à chaque instant par l’anonyme comme par la meute. Marcelo Evelin expose subliment ces corps noirs, d’homosexuels et de migrants ; ces corps qui au fond n’ont rien à perdre ni à gagner dans la vie.

Quentin Margne

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Crédit photos : Maciej Zakrzewski.

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