VENISE. PALAZZO GRASSI, PUNTA DELLA DOGANA : DEUX EXPOSITIONS, DEUX AMBIANCES

Collection Pinault Venise – « Icônes » – Punta della Dogana, jusqu’au 26 novembre 2023 / « Chronorama » – Palazzo Grassi, jusqu’au 7 janvier 2024.

Deux salles, deux ambiances

Dans ses deux musées, François Pinault et ses équipes montrent mille choses qu’il faut aller voir…

A la pointe de la lagune de Venise, dans le magnifique lieu réaménagé à la « Pointe de la douane », le collectionneur expose ses trésors.

Dès l’entrée, c’est un choc avec cette sculpture faite de fils d’or tendus vers le ciel et qui forment ces rayons que l’on peut voir dans des peintures du quattrocento. Cette Ttéia, on la doit à Lygia Pape qui, sur une longue surface rectangle de plusieurs mètres de large et de long, plongée dans le noir, tend ses fils et joue avec la lumière. Et selon qu’on se place de face ou de profil, cela nous laisse voir les fils ou pas…

Dans la même salle on croise une oeuvre de Lucio Fontana, elle aussi noir et or, jouant aussi avec la lumière.

A l’étage, on peut voir deux œuvres de Lee Ufan. Une toile intitulée Dialogue, grand rectangle blanc, deux traits larges d’un pinceau fait de matière entre vert et bleu, typique de l’œuvre du peintre coréen. Juste derrière, Tea in the field, longue étendue de graviers blancs, quatre pierres et un barnum blanc déchiré, laissant apparaître une structure en métal, l’ensemble faisant penser à des jardins à Kyoto comme le Ryoan-Ji.

Pour aller dans les salles supérieures, on peut voir les écritures de Joseph Kosuth, succession de phrases à même le cube de béton brut de la bâtisse, tirées d’un dialogue entre Beauvoir et Sartre, commande de la Collection pour cette exposition…

Plus loin, émouvant travail de Edith Dekyndt à partir de drapeaux rappelant les massacres perpétrés en Martinique par les colons. Drapeau déchiqueté après des années d’enfouissement, pris au vent sur un étendard. Cela fait le lien avec les oeuvres de David Hammons qui s’exprime elles aussi sur la condition des noirs.

Les multiples carrés blancs de Robert Ryman intitulés Untiled font leur travail de repos et de pose méditative.

La sculpture de Dannh Vo proche d’une fenêtre, prenant la lumière du jour, est somptueuse avec cette tête antique posée sur un coffre-fort en verre où l’on distingue des pieds peints. La tête de marbre est callée sur un morceau de bois brut, cisaillé en triangle, comme pour la faire se reposer. Plus loin, du même artiste, cette valise cabossée, entrouverte, et où l’on voit les jambes du Christ en croix.

Les sculptures de Chen Zhen, faites de bougies posées sur de petites chaises en bois, constituent un monde. Une idée simple avec des matériaux communs mais qui provoque une certaine émotion.

On reste toujours surpris et émerveillés devant le haut cylindre d’or réalisé par James Lee Byars. On découvre aussi cet impressionnant clou en or intitulé The Philosophical Nail, enfermé dans une vitrine pour lui donner toute sa valeur.

Dans la grande salle parmi les tentures suspendues, on admire les œuvres de Rudolf Stingel dont ce rectangle martelé couleur or qui fait penser à certaines compressions de César.

La maison ronde de torchis de Dineo Seshee Bopape d’où résonne musiques et paroles intrigue et nous pousse à y entrer.

L’impressionnante série de crânes en cristal de Sherrie Levine fait sensation par son nombre aussi bien que par la matière utilisée.

Il ne faut pas rater un classique de la collection, le célèbre La nona ora de Maurizio Cattelan qui est installée après la boutique, à la pointe de la douane, justement. Ce Pape Jean-Paul II, projeté à terre par une météorite reste une pièce tragico-comique bien inscrite dans son temps.

Puisque Icônes il y a, ne manquez pas les trois ou quatre créations d’Etienne Chambaud, vieilles icones, toutes recouvertes d’or, laissant apparaître un détail, un œil, du bois…

Les vidéos de Paulo Nazareth sont toujours aussi impressionnantes avec ce corps qui se recouvre de squelettes de crânes…

Il faut aller à la fin de l’exposition pour découvrir sept toiles de Roman Opalka datant de 1965, installées dans un heptagone de bois blanc, où l’on entend la voix du maître… Sur un mur, juste à l’entrée, un fameux autoportrait qui était pris à la fin de chaque séance de travail du peintre. On contemple ces chiffres blancs, déjà sur un fond très gris, alors que les premières toiles étaient sur fond noir, écriture d’un blanc éclatant. On passe du nombre 4 894 230 à 4 968 511. Ces « détails » depuis le nombre 1 constituent l’œuvre unique de Opalaka auquel il faut ajouter sa voix lorsqu’il peint et ses autoportraits… En dehors de ça, rien. Rien d’autre. Pas de paysages ni de portraits ni rien. Une pensée radicale qu’il a tenue jusqu’à sa mort en 2011, à 79 ans…

On l’a dit, autre salle, autre ambiance avec Chonorama au Palazzo Grassi, la Collection expose 407 photos, la plupart en noir et blanc, issues du fonds de Condé – Nast, le plus grand groupe de presse américain qui comprenait Vogue, Vanity Fair, The New Yorker… et qui a été racheté en 2021 par Pinault.

C’est ainsi qu’on peut voir des célébrités photographiées par des grands noms qui étaient attachés aux journaux cités ci-dessus comme : Edward Steichen, Berenice Abbott, Cecil Beaton, Lee Miller, André Kertész, Horst P. Horst, Diane Arbus, Irving Penn, Helmut Newton, ainsi que les illustrateurs Eduardo Garcia Benito, Helen Dryden ou encore George Wolfe Plank. 

On commence dès 1910 par des gravures et on va monter dans les étages comme dans la fusée des années pour arriver à 1970.

Pendant ce parcours dans le Palais Vénitien, on va croiser des reproductions de moments de vie comme cette aquarelle figurant une femme sur une gondole, Venise oblige…

On apercevra la célèbre photo de Lincoln (1920), Von Stroheim, Chaplin, Cocteau, Einstein, Mary Pickford, Bette Davis, Serge Lifar, et même Joséphine Baker (1927).

Dès les années 1930, on voit des photos de Chanel, de Garbo, de Dietrich, de Churchill, de Hurst, de Cary Grant, de Brancusi montrant l’évolution des gens qui font le monde puisque nous sommes passés de reproductions de mode à des stars de cinéma, puis des couturiers et enfin des plasticiens…

En 1940, on commence à voir des hommes politiques comme De Gaulle, photographié derrière un bureau par Cecil Beaton, avec sa silhouette lointaine, entouré d’une carte de France et d’une autre de l’Europe au-dessus d’une cheminée (1940). On revoit des photos de la libération de Paris de Lee Miller.

Et si les actrices comme Lauren Bacall, les photographes comme Henri Cartier-Bresson croisent Dali ou Le Corbusier (par Ivring Penn/1948), on commence à voir de plus en plus de peintres comme Pollock, Bacon ou Fernand Léger…

Une seule photo en couleur figure dans cette exposition. C’est une photo de Irving Penn de 1957 avec une femme allongée dans un champ qui lit un livre sur Picasso… tout un programme et tout un symbole.

On remarque aussi l’évolution de la place des Noirs – pas d’Asiatiques dans ces photos – qui sont au début de la série des sportifs, puis petit à petit, se mélangent à des chanteurs et des musiciens… pas d’homme politique ni même l’ombre de Luther King dans ces archives… Il faut bien attendre 1950 pour que des portraits de Baldwin soient pris et figurent dans les journaux… c’est long !

Dès les années 1960, les actrices et les chanteuses sont nombreuses à être immortalisées comme Catherine Deneuve, Mick Jagger, les Beatles, Jane Birkin (1969, pas de hasard !).

1970 les mannequins prennent (presque !) la place des actrices mais Rampling ou Warhol tiennent encore le coup…

Chronorama tient donc ses promesses avec cette immersion dans le passé et sans chirurgie nous permet de remonter dans le temps, laissant à penser que, décidément, la photo c’est bien mieux que le botox pour se sentir et faire plus jeune.

Emmanuel Serafini, envoyé spécial à Venise

Images: above : (from left to right) Rudolf Stingel, Untitled, 2010, Pinault Collection © Rudolf Stingel. Courtesy of Gagosian Gallery; Danh Vo, Christmas (Rome), 2012, 2013, Pinault Collection; Rudolf Stingel, Untitled, 2009, Pinault Collection, Courtesy of the artist. Installation view, Icônes, 2023, Punta della Dogana, Venezia. Ph. Marco Cappelletti © Palazzo Grassi, Pinault Collection / 2 : Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 1999, Pinault Collection. Installation view, Icônes, 2023, Punta della Dogana, Venezia. Ph. Marco Cappelletti e Filippo Rossi © Palazzo Grassi, Pinault Collection

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