FESTIVAL D’AVIGNON. « HECUBE, PAS HECUBE », DE L’INTIME À L’UNIVERSEL

HECUBE PAS HECUBE

78e FESTIVAL D’AVIGNON – « Hécube, pas Hécube » Texte et mise en scène de Tiago Rodrigues – Carrière Boulbon – du 30 juin au 16 Juillet à 22h – durée 2h. 

Tiago Rodrigues s’offre cette année les comédiens diamants de la Comédie Française avec comme écrin la Carrière Boulbon, ressuscitée maintenant pour la deuxième année, lieu emblématique du Festival d’Avignon. Quoi de mieux que cet espace minéral pour offrir ce spectacle où s’entremêlent la tragédie grecque d’Euripide et celle vécue par Nadia, une des comédiennes jouant le rôle d’Hécube, et dont le fils Otis, autiste, a subi des maltraitances au sein d’une institution censée le protéger ? Au gré des répétitions, les rôles s’inversent, Nadia devient Hécube en quête de justice pour son fils autiste et la mère, la vraie, transparaît à chaque réplique d’Hécube demandant justice face à Agamemnon.

Comme à son habitude, Tiago Rodrigues teint son récit souvent lourd et glaçant d’un humour percutant dû tant à la justesse de son écriture qu’au talent des comédiens de la Comédie Française. Elsa Lepoivre dans le rôle de cette comédienne mère jouant Hécube et face à la machine judiciaire, trouble par son double jeu qui plonge le public dans un abîme de questions sur la condition de comédien et la part de vrai et de vécu qui l’anime. Les tableaux s’enchaînent, alternance de répétitions et du parcours judiciaire avec cet instant poétique où les deux récits se mélangent pour ne former plus que ce cri de justice demandée. Les comédiens, tous au sommet de leur art enchaînent ces allers-retours incessants avec une fluidité déconcertante. Tiago Rodrigues se rit parfois de nous mais sait rire de lui-même, du festival et de ses code dans certaines séquences délicieusement drôles et taquines envers le théâtre, les comédiens et tous ceux qui créent cette magie parfois de bric et de broc. Une mention à Denis Podalydès, toujours en nuance dans tous les registres. Mais là encore la magie revient vite sur scène et, tels les bouffons de Shakespeare, la tragédie réapparaît au détour d’un sourire.

Sur scène, le metteur en scène ne s’embarrasse que de très peu, l’essentiel suffit. Une immense chienne, représentant la rage de Nadia à demander justice, à ne rien lâcher, mais aussi cette Hécube transformée en chien par Héra après avoir réclamé justice à Agamemnon. Les lumières de Rui Monteiro suffisent quant à elles à faire basculer le public d’un rêve à l’autre, sans hésitation mais parfois avec porosité pour mieux brouiller les cartes du temps.

Comment ne pas rêver d’être une petite souris fouineuse pour avoir pu assister, tapi dans l’ombre, aux premières répétitions, aux premiers jets de ce travail teinté de schizophrénie ? Ces fameux 99% du cerveau d’un comédien qui sont voués au rôle et ce 1% qui reste à la maîtrise du jeu semblent se brouiller et s’entremêler. Quelle est la part d’Hécube chez Elsa Lepoivre quand elle est devant nous ? quelle est la part de Nadia ? et celle d’Elsa elle-même ? Mais comment aussi ne pas citer tous les comédiens de la Comédie Française ? : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi qui offrent là à Tiago Rodrigues et au public avignonnais un grand et puissant moment de théâtre mêlant l’intime à l’universel.

Pierre Salles

Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

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