FESTIVAL D’AVIGNON. « JUANA FICCION », EN ROUGE ET SURTOUT EN NOIR !

78e FESTIVAL D’AVIGNON – Juana Ficcion – La Ribot & Asier Puga – Cloître des Célestins 20h30 – Du 3 au 7 juillet.
EN ROUGE ET SURTOUT EN NOIR !
Autant le dire tout de suite, comme sa compatriote Angélica Liddell qui se produit actuellement dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, Maria La Ribot est une figure majeure de la performance contemporaine. Elle a fait la réputation et les grandes heures de plusieurs festivals internationaux.
Avec Juana Ficción, elle réactive El triste que nunca os vido, pièce archi féministe, créée en 1992, alors que l’Espagne célébrait les 500 ans du débarquement de Christophe Colomb en Amérique… Agacée que pour ces commémorations aucune femme n’avait été invitée à participer aux célébrations, elle s’est rappelée l’invisibilisation de Juana I de Castille organisée par son fils Charles Quint…
Pour cette nouvelle version avignonnaise, La Ribot retrouve son compagnon de la première version Juan Loriente d’il y a plus de trente ans. Elle s’associe au musicien et chef d’orchestre Asier Puga qui dirige l’orchestre de chambre de l’auditorium de Saragosse – Gruppo Enigma qui avait apporté à La Ribot un recueil de chansons offertes à la très érudite et cultivée Juana I par son mari Philippe de Habsbourg pour leurs noces, ce qui a donné l’idée à La Ribot de remettre en jeu le destin de cette femme avec une proposition « visuelle et sonore « plus importante. Et pour mettre tout cela en musique, le duo a fait appel non seulement au compositeur Iñaki Estrada mais aussi au merveilleux groupe vocal Schola Cantorum Paradisi Portae qui nous aide par sa grâce et sa qualité vocale à passer ce moment particulièrement douloureux…
Les sept musiciens sont placés en arc de cercle autour d’un petit tabouret de piano. Le chef et au centre, non pas de dos comme le veut la tradition mais face au public. Les quatre chanteurs sont à cour, affublés de capes légères comme des jupons imaginés pour l’occasion par Elvira Grau qui s’est – nous dit-on – inspirée du Jardin des délices de Jérôme Bosch que Juana aurait pu voir lors de son voyage en Flandre en 1492. Pourquoi pas. Mais ces trompettes et fleurs en tulles sont d’un grotesque sur le dos de ces pauvres – et bons musiciens – qui n’en demandaient pas tant.
La musique raisonne déjà depuis un moment. Une partition de musique ancienne saccagée par des intrusions de musiques contemporaine ou électroniques comme on n’en compose plus depuis des lustres… Les sons majestueux raisonnent donc dans le Cloître des Célestins lorsque déboule un homme en costume sombre, affublé de lunettes noires et qui sprint dans la coursive du Cloître. Une apparition post Hamiltonienne, portant une sorte de cloche immense recouverte d’une voilette où apparaît un visage de femme en surimpression. C’est La Ribot qui fait son entrée ainsi vêtue d’une combinaison très Jérôme Boschienne sur brodée de fleurs et autres impressions et chaussée de bottines blanches à la fermeture éclair résistantes (on en reparlera).
La partition chorégraphique est très sommaire. Course poursuite dans l’allée du Cloître ralentie par l’espace très réduit laissé autour des musiciens au centre de la scène en terre battue. Un petit porté, puis La Ribot monte sur le tabouret noir, résurgence de la performance d’origine – et ça on le saura car au bout de 35 minutes de spectacle on nous demande de nous saisir de nos portables, dont on nous avait dit au début du spectacle de les mettre en mode avion, pour scanner un QR Code qui donne accès à une vidéo qui est un solo de la version initiale où La Ribot, nue, est posée sur une tournette…
C’est à ce moment que les choses vont se gâter puisque le comédien, sorte de faire valoir de cette vestale évanescente, tente de lui ôter ses bottes blanches qui résistent pour la chausser de souliers rouges à multiples lanières que Juan Loriente va mettre des plombes à nouer pendant que La Ribot, instable sur son tabouret, se laisse faire. Gênant comme disent les jeunes de nos jours ! Une fois ses souliers rouges au pied, une petite danse s’engage, elle sur le tabouret, lui au sol, tournant comme ces figurines qu’on voit dans des horloges anciennes et qui sortent à heures dites et tournent pour la plus grande joie des badauds… L’infante Juana et son mari Philippe sans doute.
Puis, tout le monde disparaît. La nuit est tombée sur Avignon. Dans le noir, l’orchestre et les chanteurs reviennent. Les deux interprètes aussi mais sur des vélos, elle chute. Lui, la recouvre de draps noirs, affuble son corps de moitiés d’oranges, la tête recouverte d’une couronne de fleurs, puis peint son corps en noir qui disparaît dans la nuit et le public – excédé par cet épisode pictural long et guère passionnant – se lève, sort alors que certains spectateurs vont autour du corps presque invisible dans cette nuit noire et chaude d’Avignon. Il n’y aura pas de salut. Fin de l’histoire !
Donc, on le disait en commençant, La Ribot est un phare dans la création chorégraphique contemporaine, une reine dans la sphère des performances, indéniablement, mais là, pour paraphraser Molière « qu’allait-elle donc faire dans cette galère » et nous avec elle..
La pauvreté de la proposition performative, limitée à des gestes sur le petit tabouret branlant, des courses vides de sens, est en plus soit écrasée par la beauté des voix du groupe vocal de Saragosse sublime, soit gâchée par cette cacophonie de musique contemporaine, seul le moment de la musique électro apporte à la proposition quelque chose de neuf, de moderne, sinon, c’est daté, voire ringard, ça n’a pas l’ampleur ni le panache des autres performances de La Ribot et on se met à penser au regretté Raimund Hoghe qui, il y a peu, dans ce même Cloître, nous régalait avec ses cérémonies funèbres autour de Callas ou d’autres qu’il a faite et où il proposait un inoubliable rituel. Là, rien de tout cela, Juana Ficción est ennuyeux et raté… Regrettable pour cette Juana, passionnante figure de l’histoire de l’oppression des femmes de par le monde…
Emmanuel Serafini
Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















