FESTIVAL D’AVIGNON. « FOREVER » : SIX FOIS « CAFE MULLER »

78e FESTIVAL D’AVIGNON. « FOREVER » (immersion dans « Café Muller » de Pina Bausch) – Boris Charmatz – La FabricA – Les 14, 15 – 17,18 – 20, 21/07.
SIX FOIS CAFE MULLER
Cette année, au 78ème Festival d’Avignon, les sous-titres et les parenthèses ont leur importance. Dans le jardin de la vierge, avec la SACD, ce sont « les tentatives » du Vive le sujet qu’il faut retenir. Ici, c’est le mot « immersion » qui prend tout son sens et annonce la nature de la représentation à laquelle nous allons assister…
Boris Charmatz, bien qu’ayant accumulé expériences spectaculaires et fonctions conséquentes en prenant par exemple la suite de Pina Bausch au Tanztheater Wuppertal reste fidèle à ses topics. Et, décidément, il aura tout fait pour proposer aux spectateurs de ce festival une approche désacralisée de la représentation.
Avec « Cercles », il nous propose une pratique collective de danse en plein air. Avec « Liberté cathédrale » d’assister à un poème dansé, une église au milieu du stade. Là, avec « Forever », dans un dispositif inédit à la fabricA, une danse de répertoire, complètement revisitée tant dans son accès en continu que dans son dispositif de monstration.
Boris Charmatz s’attaque ici à la fois au répertoire et la représentation ; n’avait-il pas utilisé dans « Aatt enen tionon», une de ses toutes premières pièces, un échafaudage vertical, composé de trois plateformes où deux garçons et une fille en tenue d’Adam (et d’Eve !) évoluaient, forçant le public à assister à leur premier spectacle de danse verticale, poussant le spectateur à modifier ses habitudes en circulant autour et en regardant de haut en bas plutôt que de face au lointain.
On comprend mieux maintenant le casse-tête qu’est pour les organisateurs cette « immersion » puisque de 13h à 20h, plusieurs versions du célèbre « Café Muller » se déroulent. Et c’est donc six fois cette pièce, qu’une distribution à chaque fois nouvelle, dansera entre-coupée de prise de parole chorégraphiée par les interprètes jeunes ou anciens de la Compagnie.
Ainsi, on entre dans la fabricA, dans un dispositif spécifique – dans mon souvenir jamais exploité de la sorte – avec des gradins repliés donnant toute sa majesté à l’endroit, tables rondes et chaises noires du célèbre décor de « Café Muller » occupant quasiment tout l’espace. Des samias disposés tout autour de la salle sont là pour accueillir les spectateurs qui sont en tailleur, disposés tout autour de l’espace de jeu, autant de point de vu possibles car on peut bouger pendant la pièce (ce que n’osent pas faire la plus part des gens !).
Le chorégraphe, lucide de la splendeur de la chorégraphie laissée par son illustre prédécesseuse, a laissé accès aux coursives pour que le public puisse voir les girations des danseurs et la force des directions de la chorégraphie intégralement dansée.
Ce qui est émouvant dans cette expérience c’est, outre la possibilité de la contemplation des nouveaux en anciens danseurs de la compagnie, d’être à ce point proche du mouvement de Pina Bausch, de voir de si près la paume des mains des femmes somnambules qui se jettent dans l’espace… De voir les hommes débouler à leur secours et guider leur danse. De détailler l’appui d’un trio qui porte la danseuse dans les bras robustes de son partenaire pour inexorablement en glisser. De voir les pas sautillants de la danseuse qui traverse comme une souris ce Café si célèbre…
Emotion de voir arriver vers soi l’incroyable Nazareth Panadero, chevelure rousse coupée courte, robe verte, chaussures roses, manteau noir ; danseuse mythique de la Compagnie pendant que Simon Leborgne et Boris Charmatz se jettent contre les murs de cette fabricA métamorphosée.
Fairy Queen résonne dans la salle : Remenber-me dit le chant et effectivement que de souvenirs pour ceux qui ont déjà vu des pièces de Pina Bausch mais quelle évocation de ses mânes pour les nouveaux qui découvrent ces silhouettes longilignes en longue chemise blanche, cheveux détachés, bras tendus, paumes des mains en avant, offrandes offertes à notre vue…
Remember-me les gestes de la langue des signes faits par Nazareth Panadero qui avec la danse en ligne sera la signature à jamais de Pina Bausch.
Et ce message qu’une nouvelle danseuse de la compagnie nous rapporte et qui sera le mantra de la chorégraphe au monde de la danse « essaie toujours »… C’est exactement ce que fait Boris Chazrmatz avec ce monument qu’est Café Muller. Il donne à voir, autrement, d’ailleurs, pour mieux offrir mais aussi ne pas en dévoiler le mystère.
Finalement, il fait entrer ce Café Muller dans une autre ère, tout aussi mystérieuse en le rendant mythique dans cette salle et dans cette version…
Emmanuel Serafini
Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















