FESTIVAL D’AVIGNON. « HISTORIA D’UN SENGLAR », EXTRAORDINAIRE MONOLOGUE DU COMEDIEN QUI MUE EN RICHARD III

78e FESTIVAL D’AVIGNON. « Historia d’un Senglar (o Alguna cosa de Ricard) » – d’après Shakespeare, adaptation et mise en scène Gabriel Calderon – Théâtre Benoît XII du 12 au 21 juillet 2024. 

Accrochez-vous ! La pièce est un monologue en catalan débité à cent à l’heure, avec un texte riche et dense. Entrer dans le dispositif coûte donc un peu, le regard s’affole entre les surtitres et ce qui se passe sur scène, mais le jeu en vaut la chandelle. Historia d’un senglar est un parallèle fascinant entre la pièce de Richard III et la vie de l’acteur qui l’incarne, une actualisation cruelle de la pièce de Shakespeare dans le monde du théâtre. C’est aussi une performance d’acteur à ne pas rater : Joan Carreras donne vie à ce texte avec une énergie prodigieuse, une rage revancharde propre à Richard III visible à l’état brut. Bref, un spectacle exigeant qui mérite le détour.

Sur scène, un acteur se réjouit d’avoir enfin décroché le rôle de Richard III après des années de second rôle. Le comédien se fond dans le rôle, entretient les mêmes relations avec le monde du théâtre que celles de Richard III avec la monarchie anglaise…

Le décor est à l’envers, il montre les poulies d’une machinerie de théâtre d’antan. Un siège trône au milieu de la scène resserrée. Joan Carreras se lance. Des tonnes de vers en catalan, quasi incompréhensibles, où se distingue la phrase d’accroche de Richard III : « Donc, voici l’hiver de notre déplaisir… ». Il est halluciné, harangue le public avec une dose de mépris pour tous ceux qui ne lisent pas, mépris qui s’étend bientôt aux acteurs médiocres, aux metteurs en scène faiblards qui pensent connaître les intentions de Shakespeare. Que nous veut-il ? 

L’acteur progresse dans l’histoire de Richard III, en livre un résumé accéléré chargé, mais il prend le temps de trois monologues de femmes, trois moments clés : ceux de Marguerite, Lady Anne, enfin celui de la mère de Richard III. Il est assez fascinant de voir le portrait de Richard III vu par des figures féminines, qui en distillent toute l’ignominie, ne sont dupes d’aucun de ses complots et de ses agissements. Leur jugement est sans appel. 

Comme Richard III, l’acteur part à l’assaut du monde du théâtre. A l’image du sanglier convoqué dans le titre de la pièce, il piétine tout sur son passage, le public comme les autres membres de la troupe, jusqu’à la figure hiérarchique du metteur en scène qui s’accroche à des vers anciens sans rien adapter. Le coup de grâce viendra du retrait de la subvention, la chute de l’acteur est aussi inévitable que celle du personnage qui l’incarne. 

Le texte est signé par Gabriel Calderon, jeune auteur dramatique uruguayen maintes fois primé. Le choix du catalan est une autre marque de subversion envers l’ordre établi. Ce spectacle dense et intense est remarquable, son invitation au Festival d’Avignon une vraie aubaine.

Emmanuelle Picard

Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

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