FESTIVAL D’AVIGNON. « LA GAVIOTA », UNE MOUETTE TOUS SENS OUVERTS

78e FESTIVAL D’AVIGNON. La Gaviota – D’après « La Mouette » d’Anton Tchekhov – Adaptation et mise en scène : Chela De Ferrari – L’autre scène du Grand Avignon – Les 15, 16, 18, 19, 20 et 21 juillet à 11h.

Le public qui prend place progressivement dans les gradins a tout de suite l’œil attiré par un décor sur scène volontairement mis en évidence par un éclairage recherché. Y figurent une table, des chaises, un bureau, un tapis, un tableau, une céramique et autres objets décoratifs. C’est un salon bourgeois et cosy visiblement contemporain de l’époque de Tchekhov. Un Tchekhov qui donnera le ton durant tout le spectacle, tant sur le sujet de la pièce puisque celle-ci est une adaptation fidèle de « La Mouette » que par l’atmosphère qui y règne et par les états d’âme de ces personnages, si caractéristiques du dramaturge.

Puis surgit Alicia, une petite jeune femme bondissante et espiègle qui se présente comme ouvreuse et régisseuse du spectacle. Elle commence par une description  du public à destination des acteurs en s’attardant sur quelques spectateurs types. Il s’agit en effet d’établir un contact entre le public et les acteurs, au nombre de douze, car ceux-ci sont tous non-voyants ou malvoyants, à l’exception d’Alicia, d’un musicien et de Boris Trigorine, écrivain renommé.

La pièce doit commencer mais ce décor ne convient pas. Le plateau est mis à nu et nous voilà plongés dans une atmosphère typiquement tchekhovienne, un éclairage crépusculaire et en fond de scène un lac sur lequel se reflètent des rayons de lune et où sont projetées quelques séquences vidéos qui permettent des gros plans sur les interprètes. Mais plus tard, pour une scène d’intérieur, le spectateur est appelé à se remémorer le décor initial, à le recréer dans sa tête par son imagination et sa mémoire, comme doivent le faire ces acteurs non-voyants qui ne voient les choses qu’aux travers de leurs émotions et de leurs souvenirs.

On retrouve ainsi une « Mouette », transférée en Espagne et adaptée à notre époque si l’on en croit l’usage de quelques termes familiers, avec ses personnages clés : Konstantin, fils de l’actrice Arkadina, qui aime Nina, actrice fragile, elle-même amoureuse de Boris, amant d’Arkadina. Ces personnages créés par Tchekhov, terriblement humains, empreints de nostalgie, en quête d’un sens à leur existence, tourmentés par le sentiment amoureux sont remarquablement interprétés par ces acteurs non-voyants qui ressentent sans doute des émotions intérieures avec plus d’acuité encore et dont le rapport à l’autre se construit sur une part d’imaginaire. Les dialogues entre Konstantin et Nina, cette « mouette » fragile amoureuse de son lac mais détruite par les hommes, et entre Konstantin et sa mère Arkadina sont particulièrement touchants, tant par le talent des acteurs que par la mise en scène et un environnement poétique obtenu par des éclairages raffinés.

Ces scènes sont accompagnées la plupart du temps par un musicien avec plus ou moins de pertinence. Les scènes de fête se déroulent dans une ambiance de discothèque avec des musiques dures sur lesquelles les interprètes dansent et s’en donnent à cœur joie, des séquences de déchainement collectif qui cassent le rythme de la pièce et peu en rapport avec le sujet.

Malgré une mise en scène inégale et qui manque d’unité, cette « Mouette » revisitée présente de belles images et comporte des moments remarquablement interprétés par des acteurs qui vivent leurs émotions différemment, dans un  monde intériorisé. Une expérience intéressante qui permet une approche différente de l’œuvre de Tchekhov et de la complexité de ses personnages au travers d’acteurs en situation de handicap.

Jean-Louis Blanc

Photo Barbara Sanchez

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