FESTIVAL D’AVIGNON. UN « LEVIATHAN » LOURDINGUE ET LABORIEUX, VRAI RATÉ DE CETTE ÉDITION 2024

78e FESTIVAL D’AVIGNON. « Léviathan » – Conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan – du 15 au 21 juillet à 18h00 au Gymnase du Lycée Aubanel – Durée : 2h.
La justice semble laxiste, surtout pour ceux qui n’ont pas à faire à son tranchant, car c’est bien ces cas de justice expéditive dans le cadre des comparutions immédiates que met en avant Lorraine de Sagazan dans son spectacle Léviathan pour ce Festival d’Avignon. A base de témoignages et du travail d’adaptation de Guillaume Poix, la metteure en scène plonge le public dans l’abîme de ces quelques cas où le justiciable semble devenir l’un des paramètres d’une justice débordée qui met plus en avant le justiciable que la victime. Car oui, Léviathan est avant tout une critique de notre modèle de justice qui ne règle rien si ce n’est un désir quasi morbide de vengeance.
C’est à base d’interviews et de comptes-rendus de véritables comparutions immédiates que Lorraine de Sagazan a pu recréer cette cour qui semble partir en lambeaux au fil du spectacle et finit en une sorte de terrain où s’exécute vaguement une justice qui n’en est plus une. Car s’il est bien un point commun dans tous ces récits c’est la constance avec laquelle les prévenus décrivent cette justice qui n’existe plus, on juge un homme en un quart d’heure et il perd un an de sa vie dans ce quart d’heure. Rien ne parait réel, tout parait absurde, presque ubuesque et pourtant il s’agit bien là de faits avérés, de témoignages indiscutables, de vies brisées en un claquement de doigt, de sentence tranchante qui coupe des destins en deux.
Sur scène les comédiens, grâce à un habile jeu de masques, peuvent représenter chacun d’entre nous. Les formes sont floues presque inquiétantes, le seul point tangible de la réalité de ce qui se joue devant nous est la présence d’un homme, non masqué, amateur, qui décrit froidement au gré du spectacle la critique de cette justice d’exception qui est devenue la norme et l’impact que celle-ci a eu sur sa vie et non sur ses actes. Il est là sans être là, témoin et acteur à la fois, et lui aussi semble parfois nous juger en nous fixant de son regard perçant.
Lorraine de Sagazan nous parle de justice, de justiciables, de victimes trop absentes du débat et loin des préoccupations de nos sociétés, de punitions et de vengeance. Mais alors que l’ensemble de la programmation de ce Festival 2024 était d’une absolue élégance et souvent assez subtile, la mise en scène de Lorraine de Sagazan devient parfois aussi lourde que le système judiciaire dénoncé. Que de répétitions inutiles, que de moments gênants car trop longs, comme cette scène semi-chantée aux accents des demoiselles de Rochefort. Même le cheval présent un moment sur scène et quelque peu excité au bout de dix minutes semble lui aussi finalement perdre tout son entrain. Chaque festival a son lot de déceptions, en voilà une première. Et pour ne rien nous épargner, Lorraine de Sagazan termine ce spectacle par un « coup d’éclat » dont nous ne dévoilerons pas le ressort mais qui, une fois encore, sera expliqué en long en large et en travers avant de nous le faire vivre au cas où nous n’aurions pas compris le propos. Malgré deux ou trois fulgurances un ensemble malheureusement bien trop laborieux.
Pierre Salles
Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















