FESTIVAL D’AVIGNON. « ELISABETH COSTELLO », OU LES LIMITES DE WARLIKOWSKI EN MATIERE DE TRANSMISSION…

78e FESTIVAL D’AVIGNON. « Elizabeth Costello – Sept leçons et cinq contes moraux » – D’après l’œuvre de J.M. Coetzee – Mise en scène : Krzysztof Warlikowski – Cour d’Honneur du Palais des Papes – Les 16, 17, 19, 20 et 21 juillet à 22h.
Qu’est-ce qu’un personnage de fiction ? C’est sans doute un personnage libre de toutes contraintes, non justiciable, doté d’une liberté absolue d’actes et de parole – quitte à lui faire dire tout et n’importe quoi – et sur lequel son créateur a droit de vie ou de mort. Un concept bien commode dont s’est emparé l’écrivain sud-africain J.M. Coetzee pour créer Elizabeth Costello, un double de lui-même qui semble échapper à son géniteur. C’est ce personnage complexe et imprévisible, situé sur le fil entre la réalité, le fantasme et la fiction qui semble fasciner Krzysztof Warlikowski, au point de lui donner la parole durant quatre longues heures dans la Cour d’Honneur.
La première et principale partie du spectacle fait revivre, entre autres, des conférences données par Elizabeth Costello, romancière célèbre sur le retour, dans de grandes universités sur des sujets aussi curieux et variés que la sexualité entre les hommes et les dieux, les abattages d’animaux de boucherie – qu’elle assimile avec aplomb à l’Holocauste – et autant d’autres sujets prétextes à ses divagations. Sans doute à la recherche d’elle-même – « J’ai des opinions mais je n’y crois pas » – elle bouscule son auditoire par des propos souvent extravagants et livre sur un ton monocorde une parole libre, dense et décousue dont les spectateurs cherchent vainement à retrouver le fil.
La deuxième partie du spectacle est plus intimiste. Loin des conférences et de cette vie publique sulfureuse, Elizabeth Costello vieillissante, devenue grand-mère aimante aux cheveux blancs, retrouve un milieu familial soucieux de son avenir et de la déliquescence qui la guette. Elle rêve d’être encore regardée une dernière fois et sa rencontre avec un homme handicapé suite à une chute de vélo, Paul Rayment, avec qui se produit une réactivation fugace du désir amoureux est attendrissante. Son dialogue avec son fils John, dans lequel elle est interprétée par l’actrice polonaise Maja Komorowska âgée de 86 ans est particulièrement émouvant.
Comme pour évoquer l’ensemble d’une vie et souligner ce passage inéluctable de la célébrité à la décrépitude, le rôle d’Elizabeth Costello est successivement interprété par six femmes et un homme. L’usage de vidéos, récurrent dans la plupart des spectacles avec plus ou moins de bonheur, est utilisé ici de manière appropriée pour souligner cette frontière ténue entre la réalité et la fiction. Malgré le propos souvent intimiste, le dispositif scénographique de Krzysztof Warlikowski prend possession judicieusement de l’immense plateau de la Cour d’Honneur découpée en différents espaces de jeu.
Malgré une beauté formelle et quelques moments touchants, en particulier au crépuscule de la vie d’Elizabeth Costello, la passion et la fascination de Krzysztof Warlikowski pour ce personnage complexe et énigmatique ne se transmet pas vraiment aux spectateurs dont la résilience et la patience ont des limites puisqu’en cette soirée de première, la Cour se trouve à moitié vide en fin de spectacle. Un spectacle plombé par un texte abscons, verbeux, un manque de rythme et qui s’étire en longueur. Une déception pour cette création de Krzysztof Warlikowski qui a pourtant fait, en d’autres temps, les beaux jours du Festival d’Avignon.
Jean-Louis Blanc
Photo C. Raynaud De Lage





















