BIENNALE DE LYON : « LA REALITE DE MICKEY N’EST PAS LA NÔTRE ! »

17ème Biennale d’art contemporain de Lyon – 21/09/24 – 05/01/25

« LA REALITE DE MICKEY N’EST PAS LA NOTRE ! »

Les années se suivent et ne se ressemblent pas… Pour sa 17ème édition, la Biennale d’art contemporain de Lyon a dû quitter les usines Fagor, maintenant dévolues aux réparations des trams de l’agglomération du grand Lyon, pour investir les entrepôts désaffectés de la SNCF à La Mulatière, juste à la sortie du métro Gare d’Oullins… 

Sans perdre ni gagner au change, c’est encore un lieu industriel désaffecté – tout un symbole – que nous fait découvrir cette Biennale dirigée par Isabelle Bertolotti qui s’est associée à Alexia Fabre, la directrice des Beaux-Arts de Paris, pour exposer pendant plusieurs semaines 80 artistes, présentant 280 œuvres dont une centaine montrées pour la première fois à cette occasion dans 9 lieux différents du Grand Lyon…

Aux grandes locos – c’est ainsi que ce nouveau lieu des biennales a été baptisé – deux halls ont été affectés à cette édition. Majestueux, gigantesques, on entre face à l’installation de la Franco-Gabonaise Myriam Mihindou faite de bras et de doigts dressés vers le ciel, juchés sur des tiges de fer rouillées, formant une forêt qui, selon le titre, « Lève le doigt quand tu parles ». Si l’œuvre est impressionnante par son symbole, elle semble perdue dans cet endroit si grand, si haut, presque trop… 

On circule dans ce grand hangar baigné par la lumière du jour qui nous arrive des verrières et on croise ici des œuvres d’Hélène Delprat, qui renoue avec le lettrage et les messages : « Dire de mieux en mieux ce qui va de + en + mal » propose-t-elle… On reçoit un film d’Ange Leccia qui retient l’attention. On est vite attiré par l’immense tunnel en bois de Hans Schabus « Monument for people on the move » qui propose une traversée entre deux parties du hall 1. Cette sculpture qui invite à la découverte d’un bout du tunnel qui, pour une fois, est visible me paraît répondre parfaitement à la sculpture de métal de Ivan Argote « He other, Me & the others » qui joue avec le poids des visiteurs qui l’escalade et, comme la balançoire de notre enfance, nous place tantôt en haut, tantôt en bas de ces plateformes géantes… Cette installation du Colombien fait face à un petit village façon Far West de Clément Courgeons « La chariotte des malins » qui reste ludique et enfantine… 

On croise ici comme dans l’exposition de la Cité de la gastronomie, le lettrage de Juliette Green fait de courbes et de déliés colorés, sorte d’enluminures modernes qui nourrissent l’imaginaire ; d’ailleurs l’œuvre exposée s’intitule « On the train »… Alors partons vers « L’oasis des oiseaux » que propose dans ce même hall 1 Chourouk Hriech, dessins noirs et blancs, moulages d’oiseaux et de lacs noirs artificiels… 

Si on a de la chance, on peut tomber au moment où s’active l’installation de Bastien David, immense labyrinthe de bouteilles dont le son résonne dans le hall 1 des grandes locos. 

On poursuit dans le cheminement et on rêve d’entrer dans les costumes tendus et assemblés en un seul tenant, comme une toile géante, les uns en face des autres, par Nefeli Papadimouli qui avec « Idiopolis (| – X) »produit un grand effet sur l’imaginaire. Ce corridor – toujours cette idée de passage dans ce hall 1 – mène à une maison blanche imaginée par Victoire Inchauspé et son « Nothing/Everything to remember » où l’on croise des étoiles des mers sur sable blanc qui rappellent les cycles de la nature tout autant que l’abri où se réfugier… Cette œuvre résonne parfaitement avec « Les sols ont vibré », l’installation de cylindres blancs, autant de colonnes qui symbolisent le mouvement imaginé par Feda Wardak…

On quitte ce premier espace en se retournant sur l’installation de Sofía Salazar Rosales « Il y a des corps fatigués par le voyage qui cherchent à s’enraciner » autant de signes del’exportation — des bananes et des sacs pour l’agroalimentaire  – qui rappellent là aussi le long chemin qu’elle a dû parcourir en quittant l’Équateur vers la Hollande où elle vit maintenant… 

C’est une parfaite introduction à ce qui restera le clou de cette biennale, à savoir l’installation géante dans le seul hall 2 d’Olivier Beer, l’immense chemin qu’il nous invite à parcourir dans « Résonance projet/ the cave ». Comme le rappelle le catalogue : « ce compositeur et artiste pluridisciplinaire réalise des sculptures, des installations, des vidéos et des performances immersives qui révèlent les propriétés sonores des objets et des espaces. Il explore le phénomène acoustique de la résonance, une onde sonore générée par une vibration matérielle ou corporelle qui produit à son tour une oscillation. Le projet évolue au gré des lieux investis, des égouts de Londres aux escalators tubulaires du Centre Pompidou, mais engage toujours la voix, le corps et l’architecture, selon une partition composée pour dévoiler la fréquence naturelle du site ». Et pour ce nouveau projet, son lieu n’est rien moins que la grotte de Font de Gaume en Dordogne qui recèle des somptueuses fresques préhistoriques de bisons aux contours noircis… Son projet est de créer une musique et de faire chanter huit personnes dans cet espace interdit au public sous peine de tout voir disparaître… Puisque ce sont des sculptures primitives, Olivier Beer a proposé aux chanteurs d’évoquer leurs premiers souvenirs musicaux… Le tout filmé et projeté sur 8 écrans disséminés dans tout le hall 2, offrant à la fois une écoute sonore, mais la possibilité d’un parcours dans l’espace au gré des débuts et fins des vidéos. Somptueux, dépaysant, magique… En dessous de l’espace d’exposition, on peut voir – et il faut y aller ! – les Resonance Paintings (« Peintures de Résonance ») qui sont réalisées par les artistes qui ont utilisé les pigments avec des ondes sonores sans contact direct avec les toiles. Ainsi, elles ont été façonnées par les vibrations des voix des interprètes. Ces peintures révèlent les formes abstraites, habituellement invisibles qui saturent l’air de la grotte dit le catalogue et c’est exactement ça. 

Après ça, évidemment, on peut circuler dans les 8 autres lieux de la Biennale, mais une sensation de vide nous envahit, sauf peut-être à la cité de la gastronomie où Malo Chapuy, parfaitement raccord avec l’Hôtel Dieu, expose ses vitraux et autres enluminures… On peut y voir aussi « Eux et nous – Nous et eux » d’Annette Messager qui disperse ses empaillages animaliers et quelques marionnettes d’animaux dans une salle somptueuse de cet ancien hôpital… On reste fascinée par la « Violette crystal » de Florian Mermin tout en majesté dans ce cabinet de bois… On ne boude pas son plaisir de revoir «  Animitas (blanc) » une pièce de 2017 de Christian Boltanski qui fait tinter des clochettes sur des hautes tiges… hypnotique. On restera assez subjugué aussi par les sculptures de l’Iranienne Hajar Satari qui, avec du polystyrène et de la résine, montre des bouches, langues tendues, enfermées dans un cylindre ou des bras enserrant un gros oreiller entre l’étouffement et le réconfort. Ce blanc immaculé fait d’autant plus raisonner la dimension humaniste des œuvres…

Entre découvertes et œuvres d’artistes confirmés, la 17ème Biennale d’art contemporain de Lyon a permis un voyage et de donner la parole aux artistes qui se sont emparés de la préhistoire à nos jours, sans rien cacher de la poésie qu’elles et ils retirent d’un monde chaotique… et comme le déclare si bien Hélène Delprat « la réalité de Mickey n’est pas la nôtre »… On ne saurait mieux dire !

Emmanuel Serafini

Images: 1- Biennale de Lyon 24 – Hans Schabus « monument for people on the move « -2024 copyright adagp paris 2024-photo Jair Lanes / 2- Oliver Beer « resonance painting »-2024 copyright adagp paris-2024 – photo Jair Lanes

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