BIENNALE DE LA DANSE DE VENISE : RETOUR SUR LES CREATEURS DE MYTHES

Venise, envoyé spécial
19e BIENNALE DE LA DANSE VENISE : « MYTH MAKERS » – 17 juillet – 2 août 2025
La 19e Biennale de la danse de Venise s’est tenue du 17 juillet au 2 août 2025 sur le thème Myth Makers/Créateurs de mythes, sujet proposé par son directeur, le chorégraphe Wayne MC Gregor qui signe là son avant-dernière édition de ce festival international de danse, l’un des plus importants d’Italie. Il dit d’ailleurs dans le dossier de presse : « dans les temps de désordre ou de transition, lorsque les convictions et la structure traditionnelle commencent à se développer, l’Homme cherche de nouveaux récits jusqu’à l’incertitude et aspire à l’espérance ».
En plus des installations, du Collège des pratiques chorégraphiques liées à la Biennale, les ateliers de pratique et les rencontres avec les artistes à la fin des spectacles, ce sont 8 premières mondiales, dont 7 spectacles présentés pour la première fois en Europe. Il y avait aussi 5 premières italiennes. Ce sont donc près de 160 artistes qui sont venus pendant ces 17 jours faire raisonner la danse dans la Sérénissime.
On ne peut pas passer sous silence le Lion d’or attribué à la chorégraphe et danseuse américaine Twyla Tharp qui a inauguré le Festival avec sa nouvelle chorégraphie Slacktide, présentée avec Diabelli, une pièce de 1998. La chorégraphe de 84 ans prépare une tournée dite « du Jubilé de diamant » qui s’achèvera en janvier 2026 à Minneapolis. L’autre évènement de cette biennale est, sans nul doute, le Lion d’argent remis à la chorégraphe – performeuse brésilienne Carolina Bianchi qui après avoir fait sensation avec A Noiva e o Boa Noite Cinderela – Capítulo 1 da Trilogia Cadela Força au Festival d’Avignon 2023 notamment, revient avec un nouvel opus The Brotherhood tout aussi puissant et déroutant (visible en France à Lyon – Les Célestins/ 6 au 8/11/25 puis à Paris au Festival d’Automne).
Retour vers le futur.
Comme indiqué précédemment, bien d’autres spectacles ont été présentés pendant le festival mais, pour notre part, nous avons assisté à la présentation de Simulacre, une création du collectif espagnol Kor’sia, animé par les danseurs et chorégraphes Antonio de Rosa et Mattia Russo, tout droit venus de Madrid. Annoncée comme « une combinaison de langues artistiques et de technologies avancées », la performance était censée offrir une « expérience immersive et interdisciplinaire » amplifiée par l’interaction entre la réalité et la virtualité. Ce qui a été réussi dans cette pièce, ce sont les lumières, particulièrement ce contre-jour venant du lointain, rasant la scène, aveuglant le public. Puissant éclairage et évocation poétique forte. Pour le reste, cela ne manque pas de qualité technique, mais le sens n’apparaît pas et les tentatives d’innovations sont, finalement, peu exploitées. Le vélo qui aurait pu être un objet hybride apportant autre chose que de la lumière sur scène est laissé à son simple rôle d’accessoire… Le sujet semble pris un peu au premier degré et l’énergie des danseurs ne suffit pas à donner du sens à cette pièce un peu bancale.
Entre ombre et lumière.
Tânia Carvalho, annoncée comme une des nouvelles voix de la danse portugaise, présentait quant à elle un solo Ventre do Vulcão. Un travail qui prend appuis sur la précision classique de sa formation initiale avec le mouvement expressif et chaotique, reflétant l’imprévisibilité de la vie, lit-on dans le dossier de presse… Il a manqué peut-être d’une présence plus nourrie pour imposer ce solo minimaliste entre cris d’oiseaux et marches saccadées sur scène… C’est peut-être la pièce la plus en lien avec la Biennale d’architecture qui se tient en même temps à Venise, car, là aussi, la lumière sculpte l’espace, joue des ombres. Parfois, Tânia Carvalho fait penser à la Jeanne d’Arc de Dreyer (Renée Faconetti) avec ce visage expressionniste dessiné par son voile noir et les lumières subtiles de cette pièce qui manque de présence et paraît interminable.
Le sang d’un poète.
On le dit à chaque fois, mais une des choses les plus intéressantes de ce festival est sans doute les cartes blanches qui sont données à de jeunes créateurs dans le cadre du collège chorégraphique de la Biennale qui permet à une toute nouvelle génération de se faire connaître et de profiter de la présence des professionnels internationaux qui sont là pour le reste du programme.
Et on doit porter une attention toute particulière aux chorégraphes Tamara Fernando et Matthew Totaro qui présentaient AI’M, une création pour huit danseurs, présentée dans un parc hors de Venise (Forte Marghera). La réussite de ce projet réside aussi dans l’attention qu’ont eue les deux chorégraphes pour le lieu lui-même, puisque le public suit la chorégraphie dans deux espaces, et ce corps de ferme en briques si typique de Venise est mis en valeur par cette pièce puissante qui commence au sol. Les danseurs sont couchés, en couple ou seuls. Ils sont présentés par une vidéo qui est projetée à droite de la scène, les spectateurs sont debout face aux artistes. La question qui a intéressé Tamara Fernando et Matthew Totaro est « qui suis-je ? » ou plutôt qui sont ces danseurs sur scène, comment se définissent-ils et si la pièce est très écrite, très formelle, composée de beaucoup d’ensembles, de moments chorals, il n’en reste pas moins que le rythme est bon et l’ampleur vient dans la seconde partie qui se déplace derrière l’écran qui recevait le film, un peu à la manière de Cocteau dans Le sang d’un poète ou le miroir est transfiguré. La pièce prend de l’ampleur, les danseurs sont à quelques mètres de nous et leur force au service de AI’M dévoile qui ils sont…
J’ai fait un rêve.
La seconde pièce de ce programme, Coexistence, est signée par le chorégraphe Wang Le. Elle est plus décevante, même si une partie des danseurs de AI’M confirment leur talent. Si les robes blanches imposent une image, elles ne seront que trop peu utilisées, devenant ainsi anecdotiques. Très inspirée d’exercices de respiration et des arts martiaux, cette pièce bien plus statique reste aussi de belle facture, mais trop narrative et formelle pour, finalement, laisser s’envoler l’esprit.
Best Of
On le sait, Wayne Mc Gregor aime les artistes français et il ne manque d’ailleurs pas d’en inviter… C’est le cas avec OTAN, une création de 2024 du circassien, ancien directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble, Yoann Bourgeois associé pour l’occasion avec le chanteur québécois Patrick Watson. Initiée pendant la pandémie, cette pièce ne brille pas par son économie de moyens puisque ce ne sont pas moins de quatre plateaux dont une tournette à la face qui sont nécessaires à ce spectacle… Bien sûr, au centre de cette tour de Babel, faite d’escaliers à la Escher, un espace pour le musicien qui a tout son attirail pour chanter – instruments, micros… de chaque côté, deux plateformes, l’une à jardin qui permet de placer le trampoline, agrès fétiche du circassien, en contrebas et à cour un autre espace qui permet des descentes comme dans un skate parc, avec arrivée boomerang sur des tapis roulants permettant quelques figures particulièrement téléphonées poussant les interprètes vers cette tournette carrée qui semble si lourde à faire tourner, justement…
Alors, pour les Français qui connaissent ou ont vu le travail de Yann Bourgeois, on assiste à un best of de ses meilleures figures dont le célèbre rebond du trampoline vers l’escalier jusqu’à finir au sommet des marches sans que l’intensité de l’effort ne nous parvienne… « Étonnez-moi » disait Cocteau et c’est bien ce qui manque à ce spectacle où même la musique et les chansons de Patrick Watson sont lourdes et pesantes… L’ensemble manquant de rythme, de pêche… On est déçus, mais la pièce triomphe auprès du public de la Biennale venu en nombre dans la zone industrielle de Marghera, comme quoi, nul n’est prophète pour les gens de son pays, dommage !
Emmanuel Serafini, envoyé spécial à Venise


Images: 1- Twyla Tharp « Slacktide » – 2- Carolina Bianchi « The Brotherhood » – 3- Tamara Fernando & Matthew Totaro « AI’M » – Photos copyright La Biennale 2025.





















