FINNEGANS WAKE CHAP. 1 : ANTOINE CAUBET REVISITE JOYCE A L’AQUARIUM
Finnegans Wake, chap 1 / « D’Erre rive en rêvière » -: De la pure folie ?
Antoine Caubet a entrepris voilà déjà quinze ans de porter à la scène le premier chapitre de Finnegans Wake, l’œuvre littéraire de James Joyce, objet d’étude du psychanalyste Jacques Lacan dans les années soixante dix. Dans le cadre de ses recherches sur le symptôme et sa structure, ce dernier donnera une conférence intitulée « Joyce le symptôme », révélant au grand jour son appréhension du cas Joyce, sous la figure du Sinthome. Ce texte est une frénésie verbale, une libre association musicale qui n’est rien d’autre qu’une parole. Il est écrit comme un casse-tête, composé d’assonance et de dissonance autour de la lettre, aussi déconcertant qu’intriguant.
Sharif Andoura, de père belge et de mère syrienne, campe ce personnage avec tant d’appétence que malgré la frontière de la langue, il est déterminé à nous faire passer ce texte. Le travail qu’il fournit est remarquable de mémorisation, d’assimilation et de diction. Il s’empare de cette parole et la fait étonnamment sienne. C’est maintenant son histoire. Et nous, perdus dans toute cette décomposition textuelle, nous l’admirons gambader sur ce terrain de jeu dont il ne néglige aucune attraction. Sous le regard bienveillant de son metteur en scène, il nous transmet cette épopée sans relâche, maîtrisant à lui seul tous les accents de la pièce. Aucune inquiétude à l’idée que le fil se rompe et pourtant mille et une occasions que cela puisse arriver. Aucune perte de vitesse à noter pour cet impressionnant conteur
Et ce texte passe certainement mieux par l’écoute, par l’attention portée au dire que par la lecture. Il peut même devenir appétissant dans la bouche de ce grand gaillard dont la couleur capillaire réchauffe d’emblée le décor funeste ambiant. Les choix de mise en scène viennent ponctuer le texte sans l’encombrer, l’interprétant dans les grandes lignes, lui laissant ainsi l’absolue exclusivité de l’altération. Le décor est légèrement traité mais la performance flamboyante de Sharif Andoura ne requiert aucun artifice, sinon de couleur orange ! Un hexagone de gravier, mappemonde de cet état qu’il traverse depuis la rivière de Dublin, une pelle en avant, une rivière en plan fixe à l’arrière, image mouvante inter-changeante avec un ciel ombragée ou une ombre cauchemardesque et enfin, pendouillant dans le vide, il y a Finnemort : la marionnette, le cadavre de Finnegans, en nom et place du Père.
Tout à coup, lui, sa marionnette, son paysage, nous transportent quelque part, dans un endroit intemporel, à l’inconnu. On nous dit de lui, qu’il est mort, tombé d’une échelle en état d’ébriété. Un début qui commence par la fin, des fils dans le fil, beaucoup de rupture dans le fil, bref, un vaste champ d’études pour la psychanalyse. L’institution ce soir était d’ailleurs représentée dans la salle par Judith Miller, fille de Lacan, épouse de Jacques-Alain Miller, tous deux à la tête de l’héritage lacanien, entre autres figures de l’Ecole de la cause freudienne de la rue Huymans présentes ce soir. Le comédien, interpellé par ces derniers à la fin de la représentation,notamment sur le travail de mémorisation et de concentration salué, explique faire« feuille blanche » avant d’entrer en scène. Reprise d’une expression d’Antoine Vitez, haut personnage du Théâtre populaire dont se réclame, un siècle plus tard, les résidents des théâtres de la Cartoucherie de Vincennes, toujours sur le coup.
Ce théâtre ne craint en effet pas le challenge pour ramener la parole et l’expérience au cœur des préoccupations théâtrales. C’est à cela qu’Antoine Caubet s’emploie, à faire entendre ce texte, celui de la parole, ou encore du parlêtre comme dirait Lacan. Cet écrit est « un rêve qui comme tout rêve est un cauchemar, même s’il est un cauchemar tempéré. A ceci près, et c’est comme ça qu’il fait ce Finnegans Wake, c’est que le rêveur n’y est aucun personnage particulier, il est le rêve même » (Lacan au sujet de Joyce). Quand une seconde on croit détenir le sens de ce récit, il nous file entre les neurones la seconde d’après. Il est langage, possédant sa singularité, son identité : propre et confuse, à démêler. Le metteur en scène s’autorise même quelques effets de voix sonorisée pour transparaître la monstruosité du champ de bataille dans lequel le rêveur est pris au piège.
Traduite de l’anglais au français, l’adaptation revient à la langue d’origine par bribes d’enregistrement sonores, ou par l’acteur lui-même, à la croisée d’autres langues. Au total, c’est environ une cinquantaine de langues qui sont utilisées par Joyce pour se raconter. Ecouter, il ne s’agit que de ça ici, quand la parole est en acte et la lettre en jeu. En s’attaquant à cette exception littéraire, Antoine Caubet fait preuve d’une audacieuse inconscience et offre l’occasion de découvrir ce texte méconnu de Joyce.
On s’arrête au Chapitre Un, sous-titré « D’erre rive en rêvière », c’est déjà un bon début. Pas tout d’un coup, à moins justement d’un coup de folie pour que soit empoignée un jour l’intégralité de l’œuvre (dix sept chapitres, quatre livres), au risque sans doute d’y perdre ses repères…
Audrey Chazelle
Finnegans Wake – Chap.1 d’après James Joyce, mise en scène Antoine Caubet / du 17 janvier au 19 février 2012 à L’Aquarium / La Cartoucherie.
VOIR une vidéo autour de Finnegans Wake : http://video.google.com/videoplay?docid=6539851221578497489#
![finnegans-wake-theatre-de-laquarium-500x340[1]](https://inferno-magazine.com/wp-content/uploads/2012/01/finnegans-wake-theatre-de-laquarium-500x3401-e1327569467501.jpg?w=640)





















