LES GIBOULEES : UNE VOLEE DE PUPPETS SUR STRASBOURG

JEUNE PUBLIC : Festival Les Giboulées de la Marionnette 2012 / Strasbourg.

Les Giboulées de la Marionnette  font partie de ces festivals sympathiques et détendus, auxquels on revient toujours avec bonheur. Cette année, nous y allons sur le tard (les deux derniers jours) pour assister à trois petits spectacles et une rencontre professionnelle.

Le 36eme dessous – Compagnie Askelere – mise en scène : Colette Garrigan

Dates : – 26 avril, Collège E. Kervizic, Châtelaudren (scolaire) – 27 avril, Collège Camille Claudel, Saint-Quay-Portrieux – 28 avril, Estran, Binic (dans le cadre du festival Les Marionnet’ic)
Le décor représente une maison écroulée. Il y a là une simple table entourée de débris et surplombée de tuyaux qui figurent un toit. Un tremblement de terre de 23 secondes a eu lieu dans cette rue. Une marionnette habitée (ou plus exactement semi-habitée) est glissée sous la table. C’est une dame anglaise en robe de chambre qui va égrener les souvenirs au gré des objets qu’elle retrouve dans les gravas, avant d’entamer une discussion sur la nécessité du combat, même vain, avec un Ken Loach imaginaire dont elle redécouvre une photographie sous les décombres.

Le décor et la marionnette sont très réussis et très efficaces, plongeant tout de suite le spectateur dans l’atmosphère douce-amère de cette vieille lady ensevelie et nostalgique. La manipulation et le texte n’en sont que plus décevants. La marionnette met du temps à exister pour elle-même, il n’est pas toujours aisé pour le spectateur de faire abstraction de la manipulatrice, notamment lorsque la marionnette est mise debout ou bouge beaucoup. Il y aurait peut-être plus à faire, notamment au niveau de l’éclairage – même si nous ne pouvons pas exclure choix artistique dans cette manipulation un peu trop visible. La marionnette a également la bouche fixe, inamovible, même lorsqu’elle parle. La compagnie a peut-être délibérément fait ce choix afin de signifier qu’il s’agit bien d’un monologue intérieur mais, malheureusement, pour le public, il n’en est que plus difficile d’incarner la marionnette.

Le texte, quant à lui est parfois un peu plat et prévisible. On y devine parfois de bonnes idées qui n’ont pas abouti, dont l‘écriture n’a pas été complètement trouvée. A écouter ce monologue, où affleure sans fonctionner tout à fait un humour tout britannique, on regrette que la pièce ne soit pas jouée en anglais, soupçonnant que cela lui conférait une force ironique et une capacité àsurprendre plus grande (ce n’est qu’une hypothèse bien sûr). Même le dialogue avec Ken Loach, prometteur et inattendu, du fait des maladresses de jeu et d’une certaine platitude du texte, devient un peu convenu et un peu ennuyant. La fin de la représentation est également un peu faible.

Mais cela reste un spectacle attachant car, on l’espère, un spectacle en devenir. Le matériau artistique (tout ou partie) est intéressant – malheureusement un peu inabouti et l’on souhaite que la compagnie Askelere continue de travailler sur cette pièce jusqu’à lui trouver sa forme définitive passionnante.

Batailles – Compagnie S’appelle Reviens – mise en scène : Alice Laloy

Dates : – 4 mai, Espace Georges Simenon, Rosny sous Bois – 10 mai, Theatre des Bergeries, Noisy-le-Sec -15 mai, Espace 93 Victor Hugo, Clichy-sous-Bois – 30 et 31 mai, « Les insolites », Centre culturel Paul Bailliart, Massy

Alice Laloy est une habituée du TJP où elle a été en résidence pendant plusieurs années. Elle présente son spectacle « Batailles » qui, lit-on dans le programme, « s’attache à raconter le fil de pensée qui part de la désillusion pour aller à la résistance ». Il ne s’agit pas ici de batailles militaires mais de celles que l’on mène pour continuer àvivre, se relever d’une épreuve, se libérer de l’emprise d’autrui – résister en somme. Le spectacle est admirablement bien bâti tant du point de vue scénographique que dans sa construction (non) narrative. La question de la chute et de l’espérance s’y confrontent, sur fond de questions écrites à la craie sur un tableau noir et de devinettes posées, qui interrogent, par exemple, si la force de se relever utilise la force de la chute, si la désillusion mène toujours à la chute etc.

Ce qu’il y a de fondamentalement intéressant dans« Batailles » est que la recherche métaphysique se double d’une recherche théâtrale, l’une et l’autre restant étroitement liées.

Construit autour de quelques fils rouges efficaces et pertinents, le spectacle réussi à mêler plusieurs théâtralités, faisant appel tout aussi bien à l’acrobatie qu’à la marionnette, utilisant l’espace intelligemment dans son horizontalité aussi bien que dans sa verticalité. Les marionnettes y sont comme des doubles mornes des acteurs, empêtrés dans l’impossibilité de, précisément, se relever de leurs chutes. Dans une des scènes, un acteur tente de faire tenir une marionnette debout, mais elle lui échappe sans cesse, s’effondrant encore et toujours et reflétant une double interrogation : celle, métaphysique, de l’homme, et celle, théâtrale, du manipulateur donnant vie à sa créature.

On retiendra deux de ces fils rouges ingénieux : les œufs et les chaises. Les œufs servent de matériau expérimental pour explorer la chute, son impact et – espoir ? – son dépassement. Les chaises, elles, semblent figurer des personnes (nous) – leur fragile équilibre reflète le nôtre. Le spectacle s’adresse à des adultes à partir de 14 ans, les adolescents y trouveront sans aucun doute matière à réflexion, en reflet de leurs propres interrogations. La forme du spectacle, violent, plein d’humour noir et de poésie, leur plaira sans doute et dans ce sens, le spectacle s’adresse très bien à son public. Au lendemain de cette représentation, Alice Laloy participa à la rencontre professionnelle organisée dans le cadre des Giboulées, durant laquelle différents intervenants expliquaient leurs processus de création. Nous ne retiendrons ici qu’une phrase de son intervention : “mon spectacle, à la fin, c’est une hypothèse”.

Qui est cet inconnu dans mes bras ? -compagnie Flash Marionnettes – mise en scène : Ismail Safwan

Dates : Mardi 27 avril, St-Etienne-du-Rouvray

L’ingéniosité des Flash Marionnettes est toujours un régal pour le spectateur. « Qui est cet inconnu dans mes bras ? » n’échappe pas à cette règle. Le décor, construit comme un manège, est compose de deux décors principaux (chaque demi-sphère). Au milieu : un son pilier central duquel sont extraits des compléments de décors (affiches, papier dessin etc). Le spectacle revient sur les origines familiales, la mémoire, nos souvenirs, notre rapport àl’enfance. Le point de départ : un homme a perdu son nounours, son « Michka »,et part à sa recherche. Cette quête réveille ses souvenirs, transformés et déformés avec le temps. Il explore la part d’enfance des adultes, enfants aussi dans leur rapport même à l’enfance. La manipulation est virtuose : les Flash marionnettes multiplient les types de marionnettes utilisées, les atmosphères et les voix. Le spectateur ne se sent jamais encombré par les manipulateurs et la diversité des supports utilisés n’empêche pas la cohérence du tout.

On regrette cependant que le spectacle mette un petit peu de temps à démarrer. Il faut une petite dizaine de minutes avant qu’il ne trouve son rythme. L’adulte que je suis apprécie ce réveil  indulgent et lucide de l’enfance, qui réussit à unir le public plus jeune avec le public plus âgé… mais est aussi un peu déçu : si le spectacle est bien rodé, il est un peu moins percutant que les précédents (notamment « 2084 »).On mettra au crédit des Flash marionnettes de s’être adaptés à un public plus jeune (a partir de 7 ans). Mais ce spectacle reste très bien construit, très bien exécuté. On recommandera d’y aller en compagnie d’un enfant, pour la joie de ce théâtre bien fait et pour les discussions sur l’enfance, après…

Rencontre professionnelle

En présence d’Alice Laloy (Compagnie S’appelle Reviens, spectacle « Batailles ») , Balthazar Daninos (Collectif« Les N+1 », spectacles et projets : : « les + de N-1 », « L’apéro mathématique », « Le laboratoire n+1 ».), Mélanie Goerke (« Jeune Compagnie », projet :« Galilée »). Il s’agissait lors de cette rencontre d’interroger le chemin de la création, du point de départ du spectacle à sa réalisation. Trois compagnies ont discuté de leurs parcours de création… et quelques traits communs ont resurgi.

Le plus important : le théâtre est une recherche qui part d’une « hypothèse ».Pour Balthazar Daninos, c’est une question simple : « les mathématiques sont dans l’homme, oui, mais où ? ». Mélanie Goerke, questionne l’identité et la personnalité de Galilée, à la fin de sa vie. Alice Laloy interroge, quant à elle, comment on peut se relever d’une désillusion, d’une chute.

Le développement du spectacle, un point commun : interroger et construire des univers.A partir de leurs différentes hypothèses, les trois intervenants travaillent au développement du contenu et de la forme de leurs spectacles. La « Jeune compagnie »réfléchit à l’univers scénique de chaque personnage : sa forme plastique (la marionnette), mais également son univers sonore, chaque personnage ayant  sa musique propre. C’est une approche très physique du théâtre.

La « Compagnie des n+1 » rencontre des chercheurs afin de comprendre leur « espace mental » qu’elle essaiera ensuite de construire scéniquement. Alice Laloy travaille avec trois éléments : la matière de pensée, la matière de texte et la matière sensible. Dans le cadre de « Batailles », la compagnie a notamment rencontré de jeunes adolescents, qui lui ont donne la« matière sensible », complétant les éléments de réflexion et d’écriture – le travail de recherche théâtrale ne cessant pour ainsi dire jamais, « les répétitions commencent quand on joue devant le public, avant, on écrit ».

La conversation a dérivé peu à peu sur le soutien des structures à cette recherche théâtrale, la liberté qu’elles laissent aux artistes, les directeurs de théâtre présents ont alors souligné leur soutien et leur confiance aux artistes en résidence, dans le travail desquels ils disent ne pas vouloir intervenir. On regrettera peut-être le « politically correct » de cette partie de la discussion.

Merci au TJP pour ce festival toujours rafraichissant et cette rencontre professionnelle intéressante… on se réjouit déjà de pouvoir assister à l’édition 2013 !

Anne Pailhès

Sites : http://www.tjp-strasbourg.com/ http://www.akselere.com/ http://www.sappellereviens.com/ http://www.flash-marionnettes.org/

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