FESTIVAL « DES SOURIS, DES HOMMES » : NOUVELLES ECRITURES SCENIQUES EN GIRONDE

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Festival Des souris, des hommes / nouvelles écritures scéniques / scène conventionnée du Carré / Les Colonnes en Gironde / du 15 janvier au 1er février 2013.

Deux scènes de la grande banlieue bordelaise, Le Carré à Saint-Médard-en-Jalles et Les Colonnes à Blanquefort, se sont réunies depuis 2009 pour créer, entre autres, ce projet culturel formidablement innovant et ambitieux porté par une même équipe, en quête à la fois d’audace mais aussi de lisibilité dans le choix des spectacles proposés (treize au total donnant lieu à trente sept représentations) où l’émotion produite se présente toujours comme une porte d’entrée rendant accessibles les œuvres les plus avant-gardistes.

Au carrefour des disciplines (théâtre, musique, danse, cirque, vidéo, art plastique), au carrefour des genres (poésie, burlesque, tragi-comique, politico social) et des nations (neuf pays sont représentés dont pour le nôtre, quatre compagnies émergentes d’Aquitaine), au carrefour des dispositifs proposés (le rapport artistes/spectateurs va parfois jusqu’à la fabrication totale du spectacle par les participants), Des souris et des hommes s’inscrit délibérément dans ce qui se fait de mieux dans le foisonnement actuel des nouvelles écritures scéniques,dont il se fait, pour le public aquitain pendant cette deuxième quinzaine de janvier (15/01 au 01/02), le « découvreur » avisé.

Dans sa volonté affichée d’irriguer le tissu local et régional de ces créations culturelles hors normes qui participent grandement au renouvellement du patrimoine en proposant un autre regard sur les arts vivants (sans oublier, cette année, le focus proposé sur les créateurs britanniques, avec l’ONDA et le British Council), l’équipe, dirigée par Sylvie Violan, a initié un travail en réseau se traduisant par l’éclatement des lieux de programmation sur pas moins de six sites : la scène conventionnée Le Carré (Saint-Médard-en-Jalles) / Les Colonnes (Blanquefort) ; la scène nationale du TnBA (Bordeaux) ; Le Cuvier (Artigues) ; Molière-Scène d’Aquitaine -oara- (Bordeaux) ; et le Théâtre des Quatre Saisons (Gradignan).

Le résultat ? Un formidable foisonnement de surprises ; et pour certaines, totalement jubilatoires…

D’abord, deux des projets portés par la scène locale, avec des artistes d’ici « made in aquitaine » :

Parler aux oiseaux 2 (Compagnie Dromosphère) : moments de poésie pure, parfois déroutants comme la vie peut l’être, mis en scène, en musique et en images par Giani-Grégory Fornet qui, dans un très beau texte énoncé par des voix polyphoniques mêlant des emprunts à Pascal Quignard, à Saint François d’Assise, Joyce et Pasolini, nous transporte dans un univers complexe où se mêlent réitération des obsessions ascétiques et envol vers des aspirations intimes libératrices.

Certes, on se perd parfois dans la trame mais on est toujours porté par la petite musique des mots, lancinante et envoûtante. On pense alors à Tirésias, ce devin rendu aveugle par Athéna qu’il avait surprise nue et dont la déesse consentit à alléger la sentence en lui purifiant les oreilles, ce qui lui permit de « comprendre » le langage des oiseaux …

Le Pays de Rien ( La Petite Fabrique ) : l’univers exigeant de l’auteure « pour la jeunesse » Nathalie Papin, porté à la scène par la créativité réflexive de Betty Heurtebise (qui a connu l’opportunité de travailler avec des metteurs en scène aquitains ayant des approches théâtrales complémentaires comme Gilbert Tiberghien ou encore Jean-Luc Terrade) donne à l’arrivée « un tout » dont la portée philosophique transcende la belle histoire qui nous est contée.

En effet, comment, au-delà de la beauté formelle de cette représentation où la vidéo vient apporter de manière judicieuse et sensible les jaillissements de lumières symbolisant la vie dans tous ses éclats et qui justifierait à elle seule cette création par l’émerveillement esthétique qu’elle crée, comment échapper à la qualité philosophique du questionnement qui en surgit ?

« Un roi, qui se prend pour un roi est un fou » … disait Lacan. Eh bien ce roi du Pays de Rien n’échappe pas à ce jugement du maître de la psychanalyse… Imaginez un royaume vide de tout ce qui pourrait évoquer les manifestations « intempestives » de la Vie : les couleurs sont immergées dans un lac, les cris jusqu’aux moindres soupirs sont emprisonnés dans des cages, les rêves (ces vecteurs de désirs) tout comme les larmes (cette spécificité humaine) sont bannis. Un monde aseptisé où aucune forme de vie n’a « droit de cité ».

Alors, la fille du roi, héritière d’un royaume « sans âmes » et qui souffre à mourir de cette situation contre nature, va trouver en la rencontre d’un beau jeune homme (qui va jouer le rôle attendu de l’élément perturbateur sans lequel l’équilibre de tout conte ne pourrait advenir) la matière à renouer avec la vie. Et, ce n’est pas tout à fait un hasard si le jeune homme en question est « étranger » au royaume et si, en fonction de son expérience acquise en tant que Gardien des Enfants des Rêves Malades, il libère la jeune fille de ses liens pour lui donner accès à ses rêves refoulés. De même ce n’est pas un hasard si le vieux roi totalitaire n’avait eu de cesse jusqu’ici de noyer la diversité des « couleurs », comme certains voudraient ériger le « blanc » en seule couleur ayant « droit de cité » … La libération viendra donc de la force subversive liée à la capacité recouvrée de rêver et ce sera « l’étranger » le médiateur de ce processus.

Alors, spectacle pour enfants … ou destiné à leurs parents vu la richesse du questionnement sous-jacent qui pourrait passer inaperçue à un jeune public ? Bruno Bettelheim, l’auteur de Psychanalyse des Contes de Fée, semble avoir déjà répondu en son temps à cette question : les contes, disait-il, ne devaient surtout pas être expliqués aux enfants, leur langage poétique suffisait à atteindre en l’enfance des interrogations secrètes qui feraient sens d’elles-mêmes.

Un théâtre « engagé » résolument aux côtés de l’enfance, inventive et libre : Betty Heurtebise ne fait « rien » d’autre en mettant en scène son « pays ».

Ensuite, un projet « made in France » :

Germinal : Halory Goerger et Antoine Defoort ont associé leur « folie constructive » pour nous concocter un spectacle qui ne répond à aucune norme. Ces deux plasticiens à la fantaisie débridée se sont mis en tête de « refaire le monde » sur le plateau vide du TnBA à Bordeaux et leur propos est ni plus ni moins de nous faire participer en direct à l’histoire de l’humanité privée du langage jusqu’à la communication numérique offerte par les technologies nouvelles.

Au commencement était … l’absence de verbe ! Un monde, où chacun isolé dans son silence, était privé de contact avec les autres. Et puis un jour, en pianotant sur le clavier d’un curieux engin mobile, ou pour mieux dire (trans)portable, relié par une sorte de tuyau à « la machine à lire », l’un des pantins privés de paroles, a vu, sur l’écran géant situé derrière lui que sa pensée s’écrivait en caractères d’imprimerie. INCROYABLE ! Alors, fort de cette « impensable » découverte, il en informa aussitôt ses mutiques compagnons qui n’eurent de cesse d’en faire autant. Ainsi le langage à explorer le temps passé, présent et à venir était-il né …

Armé du langage qui donne accès à la pensée, cette troupe de « constructeurs » va en jouer pour explorer toutes les possibilités créatives offertes par les matériaux en kit qui se trouvent là, sur ce plancher troué de trappes qui va servir d’espace scénique expérimental à l’avènement d’ « un monde ».

Mais cette fois-ci, car « le monde » a déjà été créé, et on sait à quel désastre cela a mené, il n’est plus question (Dieu soit loué !) de laisser les choses au hasard … Tout, systématiquement tout, sera discuté sous l’angle des lois de la (pata)physique et des interactions ontologiques et sociales. L’œuvre est gigantesque, le défi rejoint celui que s’assignait l’OULIPO, cet OUvroir de LIttérature POtentielle : explorer jusqu’aux confins de l’inaccessible les possibilités d’où émergera « un monde » nouveau ; on s’est déjà fait avoir une fois, c’est pas pour recommencer !

Et là, devant nos yeux ahuris, s’affichent les propositions les plus logiquement surprenantes liées à ce délire langagier jubilatoire. Et comme les « architectes » de ce nouveau système sont à la fois les « ouvriers » qui le construisent et les « habitants » de ce monde en gestation, par identification, on fait partie aussi de la fête ! Naît ainsi un monde aux limites imprévisibles comme le langage peut l’être, un monde qui « germe » (clin d’œil au titre du roman de Zola, les révoltes contre « l’ordre établi » pouvant prendre de multiples formes) par les seuls actes de ceux qui en sont les artisans bricoleurs, et le tout, dans une allégresse communicative.

Cette « performance-légo » (on ne sait trop comment dénommer ce qui se construit devant nous), cette re-création du monde à laquelle on assiste dans une ambiance cour de récréation, nous transporte dans un univers hilarant et énergisant : Refaire le monde, il n’y a rien de plus excitant !

Programmé au Festival d’Avignon l’été prochain, il y a fort à parier qu’il « aura le gros tabac », comme on disait naguère en argot.

Yves Kafka

A suivre : deux autres articles sur le festival Des souris, des hommes

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Visuels : 1/ Germinal photo © Alain-Rico 2/ Parler aux oiseaux 2 photo DR / copyright festival Des souris, des hommes 2013.

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