GRAHAM EATOUGH & GRAHAM FAGEN : « IN CAMERA », TOUR PANORAMA, MARSEILLE

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Graham Eatough & Graham Fagen : In Caméra / installation pluridisciplinaire proposée par Sextant et plus / Tour Panorama, La Friche de la Belle de Mai, Marseille / Jusqu’au 21 décembre 2014. .

Sextant et plus invite les artistes Graham Fagen et Graham Eatought à investir le dernier étage de la tour Panorama de La Friche de la Belle de Mai. Ils y réalisent une installation concentrique, qui explore les chemins de traverse que l’art crée entre la réalité et l’artifice. 

L’évidence quotidienne des objets qui nous entourent se voile et nous permet d’entrer dans un système autre. In Camera est leur troisième collaboration. Killing the Time en 2006 et The Making of us en 2012 mêlaient déjà le théâtre, dont le metteur en scène Graham Eatough est issu, et les arts visuels auxquels le plasticien Graham Fagen, qui représentera l’Ecosse à la prochaine Biennale de Venise, appartient.

Décrire In Caméra relève de l’exercice de style : éviter les répétitions à grand renfort de synonyme, structurer ce que les artistes ont volontairement imbriqué. Une rengaine inlassablement répétée, à  la fois spectacle, film et installation.

Quatre écrans, placés devant chacune des cimaises qui font office de murs, restituent la salle avant la tornade qui l’a frappée. Les œuvres, estampillées art contemporain, sont tombées, cadre brisé. Une cloison s’est effondrée, des débris jonchent le sol. Voici le musée apocalyptique et symbolique dans lequel on pénètre. Cette hétérotopie filmée est à la fois l’espace dans lequel nous nous trouvons, le lieu de tournage du film qui se déroule sur les écrans, ainsi que son décor. La pièce stricto sensu, le lieu figuré et l’image de celui-ci se superposent dans un seul et même espace, dont chaque panneau répète le système de la chaise de Kosuth.

A chaque couche de réalité est associée une temporalité qui nous perd. Passé présent et futur cohabitent dans le temps vécu du spectateur, qui se trouve face à la  déconstruction du processus d’enregistrement de la pièce et du film. Les artistes nous poussent à une réflexion sur le réel, son enregistrement, sa retransmission. Le film tourne en boucle, voué à être sans cesse rejoué. Sur fond de Huis clos, les acteurs prennent conscience qu’ils se feront face en ce lieu indéfiniment. C’est le non monde de Jean Paul Sartre, amalgamant les espaces, ruinant la chronologie.

Le spectateur est au cœur d’une mise en  abyme étourdissante. In Caméra repose sur notre décision en tant que spectateur de jouer le jeu de cette rencontre. Par mimétisme ou empathie, nous sommes potentiellement dans la même position que les protagonistes de la pièce de théâtre. Pris malgré nous dans cette suite gigogne, nous sommes la dernière fractale qui reproduit le dessein des artistes. Les objets de l’installation ont quatre degrés d’existence, dont le dernier est leur reflet dans notre œil. Notre corps lui-même est pris en otage. Nous suivons le mouvement de l’action, qui glisse d’un écran à l’autre, décrivant ainsi une chorégraphie orchestrée par les artistes… « La seule chose dont je suis sûre, c’est que tout est délibéré. » dit une actrice du film.

L’œuvre procure une sensation de vertige alors même qu’il y est question d’enfermement. Se pose la question de notre statut ; spectateur ou voyeur ? Les artistes  superposent  les références du monde du  théâtre et de l’art aux évènements d’un reality show, mettant en scène une tragédie identitaire contemporaine. Les acteurs sont dans un surjeu digne d’une série B sur fond d’existentialisme tragique. Le choix de Huis clos comme trame narrative prend tout son sens.  »L’enfer c’est les autres » disait Jean Paul Sartre. Suprême dérision, le film se termine par la destruction jouissive du white cube, dont les acteurs abattent la cloison dans un ultime effort pour échapper à leur situation. Comment ne pas y voir un pied de nez aux codifications contemporaines, une mise à sac des références du monde de l’art.

L’espace clos s’ouvre sur la baie vitrée de la salle d’exposition de la Friche créant une trouée lumineuse, qui bien que visible depuis la salle d’exposition, est révélée par la vidéo. Les artistes dirigent notre regard vers le panorama de la ville et nous placent dans une énième problématique. Liée à notre perception, la réalité est toute relative. « Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons, et comment nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés. Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents.  » Un nuance énoncée par Oscar Wilde dans le déclin du mensonge, que cette œuvre s’attache à mettre en lumière.

Adèle de Keyzer

photo : JC Lett

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