77e FESTIVAL D’AVIGNON : KONO ATAR NO DOKOKA, AU TEMPS OÙ MARTINE DANSAIT

77e FESTIVAL D’AVIGNON : KONO ATAR NO DOKOKA – Michikazu Matsune – Martine Pisani- Collection Lambert.
AU TEMPS OÙ MARTINE DANSAIT
Quelle idée formidable de donner à revoir les spectacles de Martine Pisani dans ce très beau lieu de la Collection Lambert pour le 77ème Festival d’Avignon !
Ce n’est pas lui faire injure que de dire que Martine Pisani n’a pas été une personnalité centrale de la danse contemporaine, ni même une étoile qui brillait de mille feux à l’époque où elle pouvait danser encore. Et c’est peut-être pour cela que le public qui ne la connaît pas, ni même ne connaît parfaitement les constellations de la danse contemporaine française, reste dubitatif et silencieux devant cette hagiographie néanmoins facétieuse et de fait émouvante.
On peut dire sans la flatter non plus, que Martine Pisani a été une planète de ce mouvement de la danse contemporaine des années 80/90. Elle a contribué indéniablement à son rayonnement, la preuve, ce jeune danseur japonais Michikazu Matsune qui se donne un mal de chien à transmettre et faire connaître son travail à Kobé sa ville natale.
Et c’est bouleversant de voir la trajectoire de cette danseuse qui a eu le coup de foudre pour cet art à la Sainte Baume avec Yvonne Rainer et Douglas Gordon, avec Merce Cunnigham à l’American center de Paris et qui, pour travailler en paix, squattait contre ménage le studio – mythique – d’Odile Duboc.
Ce qui touche absolument dans ce spectacle – pudique en présence de Martine Pisani sur scène – c’est qu’elle ne peut plus danser, immobilisée par une maladie qui lui a ôté son art… Mais il est certain que le spectacle proposé pour le festival est tout à fait à son image et peut-être, si le destin le lui avait permis, aurait-elle été cette artiste qui aurait mis un grand écran blanc sur un tapis blanc – espace épuré s’il y en est – avec à cour une table en sapin brut, deux chaises dans cette même matière et aurait commencé par un récitatif de son texte pour son solo ICI/Koko entremêlé de souvenirs et de Haïku aux symboles évidents.
Kono atar no dokoka est un moment rare et le chorégraphe Dominque Boivin avait inventé naguère un spectacle intitulé « la danse, une histoire à ma façon » et on peut paraphraser et accoler ce sous-titre à ce spectacle tant les noms et les lieux évoqués jusqu’au restaurant bio de Paris Le Grand appétit, rappellent un monde ou Pina Bausch croisait Claude Régy, le groupe Dunes, Sabine Macher… et qu’en 2023, où Dominique Bagouet aurait 72 ans, on se rappelle avec nostalgie tant ces moments et les spectacles qu’ils sont créés…
Le spectacle nous rappelle combien la danse est éphémère puisque, Martine elle-même ne se souvient plus de son premier solo, et empêchée, elle ne peut plus le rechercher, le transmettre… disparu à tout jamais, juste le titre reste… Il faut attendre le milieu des années 1980 pour voir des vidéos de sa danse et sa conservation pour la mémoire.
Mais le spectacle n’est pas qu’histoire, il est drôlerie et certainement un bon moyen aussi de mieux connaître Martine Pisani maintenant. Lorsque Michikazu Matsune lui demande « que signifie la danse pour toi »… elle répond dans un souffle « alors ça ??? » magnifique ! Plus tard, « Martine, veux-tu nous parler de ta pièce ? », elle dit « non », et c’est juste beau.
Elle ne peut pas s’empêcher avec ses acolytes – puisque son compagnon le danseur Théo Kooijman, les a rejoint pendant le spectacle – de dénoncer la société du fric et le consumérisme lorsqu’elle demande à utiliser 3’ de la chorégraphie de Philippe Decoufflé pour les JO d’Albertville 13 000 euros la minute ! ce qui nous donne droit à une séquence hilarante d’une vidéo de légos qui est un pied de nez bien mérité à cette confiscation systématique du souvenir.
Le projet est donc bien de témoigner et de parler « de son vivant » du travail de Martine mais aussi d’un âge d’or de la création chorégraphique, pendant lequel Martine donnait le change et rassemblant « matériaux instables », « courses non droites », « équilibres précaires », « états de grande fatigue », « être perdus », « chutes faisant tomber sur la tête », bref un avant-goût de son quotidien, elle qui ne danse plus comme avant mais qui nous réjouit avec son humour et sa présence forte, comme ancrée dans notre monde… Et grâce à Kono atar no dokoka on se souviendra longtemps de Martine au temps où elle dansait et après…
Rien ne dit dans le champ de la cigale qu’elle est près de sa fin… à méditer
Emmanuel Serafini
Photo C. Raynaud de Lage





















