« ECRIRE SA VIE », OU COMMENT PAULINE BAYLE N’A PAS SU TRANSPOSER VIRGINIA WOOLF

77e FESTIVAL D’AVIGNON. « ECRIRE SA VIE » – Pauline Bayle – Cloître des Carmes 22h.
Dès l’entrée, vous avez le choix d’être simple spectateur ou de « vivre une expérience », vous retrouver invité, convive, à la fête d’anniversaire surprise de Jacob, organisée par sa soeur et ses amis d’enfance. Un large rectangle de gravier blanc, avec au centre ce qui semble être la table des agapes, constitue la scène, convives et spectateurs sont placés face à face, avec celle ci au centre. C’est la base de la scénographie, qui évoluera, changera, se réorganisera au fur et à mesure de la pièce, de manière fluide et avec l’aide des convives.
On attend Jacob, qui doit arriver bientôt, mais rapidement, l’on comprend qu’a l’instar de Godot, Jacob ne viendra pas. Les amis déroulent le fil de 25 ans d’amitié et de secrets, tout en craignant l’arrivée de la guerre, menace d’abord vague puis de plus en plus précise, dans le monde jusque là épargné de leur amitié et de leur enfance.
On retrouve ici l’oeuvre foisonnante de Virginia Woolf, mais Pauline Bayle a commencé son immersion dans l’oeuvre de celle ci par le roman Les Vagues, un « Bildungsroman » (roman initiatique), que Virginia Woolf qualifiait elle même de « playpoem », un poème-jeu. Cette filiation est à l’origine de la difficulté majeure de l’exercice, transcrire en dialogues et au théatre la luxuriante richesse de l’oeuvre de Virginia Woolf, sa parole créatrice qui fait naître, lorsqu’on la lit, tout un imaginaire, où la forêt, l’eau, la vie et la lumière s’entremêlent. C’est le souvenir lumineux de ses étés d’enfance à Saint Ives, dans les Cornouailles que l’on retrouve ici, dans les danses sauvages et païennes des personnages qui jouent leur enfance, et c’est dans ces moments-là, ces moments de joie pure que la pièce connaît ses moments de grâce, où les comédiens, dans leurs folles sarabandes nous touchent au coeur. Et dans leur course effrénée, la poussière du gravier se soulève, qui rappelle à la fois les arènes antiques, la fumée des feux de la guerre, et celle de la gehenne, lieu de résidence des morts. Car la mort est présente à chaque moment de la pièce, mort de l’enfance, mort sacrificielle de Jacob, le plus beau, le plus charismatique de la petite bande, emporté en premier, comme choisi par les Valkyries sur le champ de bataille. Et la table centrale devient pierre tombale, où les vivants allument des feux pour se souvenir des morts. Mais les textes choisis ne cessent également pas de parler de la mort de Virginia Woolf, tant les références aux eaux profondes, aux cailloux et à la chair froide et morte des poissons sont trop nombreuses pour n’être que fortuites.
La seconde partie, après la guerre, nous offre une autre obsession de Woolf, le temps, qui tel un ouroboros dans une mise en abyme pas totalement convaincante, nous propose une réflexion quasi nietzschéenne sur l’éternel retour du même, alors que les personnages nous apparaissent comme l’auteure les avait pensés dans Les Vagues, différentes facettes d’une même conscience, qui ne dialoguent pas, ne s’écoutent pas, donnant à l’ensemble l’aspect, assumé, d’une suite de monologues. Enfin, et malgré leur énergie et leur talent, les comédiens peinent à donner corps à cette proximité à la fois des corps et des esprits qui émane d’un groupe d’amis d’enfance, qui fait que quelqu’un d’extérieur sait, sans la moindre ambiguité, que ceux là se connaissent depuis toujours.
Isabelle Salles
Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon





















