« INTO THE HAIRY » : DENSE ET INTENSE

Into the Hairy – Sharon Eyal et Gai Behar – La Villette Paris – 12 au 14 avril 2024.
« Ça ne va pas être facile à raconter », me lance ma voisine à la fin du spectacle. Effectivement, la chorégraphe israélienne Sharon Eyal qui a fait ses classes à la Batsheva Dance Company et son complice Gai Behar sont uniques en leur genre : ils ont développé un langage chorégraphique singulier à base de petits mouvements répétés et construit sur un collectif fort. Après Soul Chain et Promise, L-E-V-I nous emmène dans un univers sombre, où les huit danseurs androgynes vêtus de combinaisons noires striées se déploient avec une agilité fascinante. Les mouvements sont en symbiose parfaite avec la musique créée pour l’occasion par le musicien électro britannique Koreless. L’ensemble est sidérant, vaguement inquiétant, toujours stimulant.
Plateau sombre, lumière tamisée. Les corps se devinent, tous vêtus de la même combinaison étrange, cheveux noirs tirés vers l’arrière, visage blanchi marqué de traces sombres. Ils sont à la fois semblables et différents. Les courbures changent, la manière d’attaquer les gestes, les interprétations varient. Les danseurs font corps, tous ensemble, autour de mouvements pulsations, souvent sur la pointe des pieds. Dans le même temps, certains se lancent dans des variations, des angles différents, des singularités qui attirent le regard d’un artiste à l’autre. Le groupe ressemble à une araignée, un drôle d’animal, un amas de bras et de jambes difficiles à distinguer. Parfois s’en échappe un danseur lancé dans un solo virtuose. Les gestes prennent alors de l’ampleur dans une démonstration éclatante du talent de l’artiste. La compagnie LEV de Sharon Eyal et Gai Behar est exceptionnelle : tenir les pulsations et les envolées, avec des passages fréquents sur la pointe des pieds demande une force physique prodigieuse.
Musique et danse ne font qu’un. Les mouvements ont été développés à même les rythmes proposés et inversement, la composition musicale a suivi les danseurs dans leur studio. Tout rythme suscite un geste. La partition se renouvelle à intervalles réguliers, évitant toute répétition. Il y a des airs de tango ou de flamenco détournés dans les gestes, des sonorités profondes et étranges, des pulsations aussi. L’intégration des deux arts est totale, encore plus harmonieuse que dans les créations précédentes de Sharon Eyal et Gai Behar.
Into the Hairy est un voyage aussi inquiétant que le promet son titre, épuisant pour les danseurs, époustouflant par son inquiétude. Si « Hairy » peut être utilisé de manière figurée pour exprimer des situations intenses ou difficiles » comme l’indique le dictionnaire, alors la mission est largement accomplie !
Emmanuelle Picard
Photo Katerina Jebb





















