FESTIVAL D’AVIGNON. « LIEUX COMMUNS », ÊTRE OU N’ÊTRE RIEN ?

78e FESTIVAL D’AVIGNON – LIEUX COMMUNS – Baptiste Amann – L’Autre Scène du Grand Avignon (Vedène) – les 4 – 6 & 8 – 10/07/2024.
ÊTRE OU N’ÊTRE RIEN ?
Après le succès mérité de « Des Territoires » en 2021, puis de « Salle des fêtes » qu’il a créé à Bordeaux en 2022 (1), c’est le retour à Avignon de Baptiste Amann, auteur, metteur en scène qui vient nous percuter une fois encore sur un fait de société et, finalement, sur la société elle-même…
Comme toujours dans son travail, le décor est impressionnant et essentiel à la bonne marche des actions. Florent Jacob signe là encore un dispositif parfait où rien n’est en trop et tout fonctionne au point qu’on se demande comment on n’y avait pas pensé avant, avec ces passerelles, ces champs – contre champs qui permettent à l’action d’évoluer dans un rythme soutenu voire effréné… Spécificité, Florent Jacob résout pour toujours cette question du quatrième mur en créant une scène où le public figure le mur du lointain et où les actions de jeu de la partie liée au théâtre se font dos à nous, cassant là aussi toutes les conventions de bienséance, mais le procédé fonctionne et permet une réelle empathie avec le spectateur… d’autant que, pour les étrangers, le sur-titrage est prévu dans un écran surélevé, là aussi très habile…
Pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas l’esprit et l’humour de Baptiste Amann, j’ai trouvé que le texte d’avertissement projeté au début du spectacle : ceci est « la reconstitution bien réelle d’éléments fictifs » résumait parfaitement à la fois son travail et le projet de cette nouvelle pièce créée à Avignon.
On sera donc côté coulisses et la pièce débute avec… le début d’une pièce qui semble faire polémique puisqu’elle a déjà plus de 45’ minutes de retard et que des policiers circulent dans ces coulisses qui sont donc le lieu de ce premier tableau où l’auteur plante une première partie de son intrigue.
Issa Traoré délinquant notoire aurait mis fin aux jours d’une jeune femme. Toutes les preuves rassemblées par la police l’accablent. Il est donc condamné, mais ce dernier crie son innocence à travers des poèmes qu’une jeune metteuse en scène militante et lesbienne souhaite faire entendre au public, alors qu’un groupe d’activiste tente de l’en empêcher.
Baptiste Amann montre là son sens aigüe de l’observation de notre société et la sociologie entre en jeu. La dialectique est puissante entre les personnages sans être non plus inintelligible…
La Lune fauve est donc le premier maillon de ce thriller sociétal en trois parties… L’éthique des uns, le sens moral des autres, tout y passe et Baptiste Amann ne cherche pas à prendre parti et nous laisse nous positionner dans ce conflit.
Il n’est pas tendre d’ailleurs avec les intellectuels et cette parodie d’émission – hilarante – « L’effet de l’usage des faits, un construit collectif » permet à Samuel Réhault, pilier de la Compagnie, d’interpréter une caricature d’un conservateur de Musée absolument crédible, presque pas exagérée… Et cette émission permet d’introduire une autre intrigue avec Indra, réalisatrice par ailleurs en rupture de banc avec la metteuse en scène de La lune fauve… On assite alors à une pure contradiction de cette artiste renonçant à ses valeurs dès lors que son ex compagne est concernée…
Pendant ce temps, dans le sous-sol, troisième lieu de l’intrigue, Issa est cuisiné par la police pour avouer un crime qui n’est pas sans rappeler certains faits divers sordides, mais la victime de ce crime est la fille d’un leader d’extrême droite et donc les réseaux se déchainent… Baptiste Amann pause clairement la question de l’impact de ces influences sur le travail – objectif – des gens, notamment les policiers et les juges…
C’est en faisant diversion avec cet Atelier de restauration que l’auteur ouvre une nouvelle brèche dans sa pièce et va les croiser toutes les trois. Puisque au, profit de la restauration d’une toile russe « Ivan le terrible tuant son fils », le conservateur, planqué sous une fausse identité, va se révéler bigrement concerné par le meurtre de cette femme dont on soupçonne Issa de l’avoir tué.
La pièce est tissée d’intrigues espacées dans le récit. Elles font sens avec le déroulement du spectacle. De ces situations anodines, Baptiste Amann fait un vrai polar politique digne des meilleurs séries télé. Même si certaines répliques comme ce tunnel de monologues ré-explicatifs de la fin alourdissent inutilement le spectacle, comme si l’auteur ne se faisait pas assez confiance et surtout ne nous faisait pas assez confiance au point de tout redire des tenants et des aboutissants de l’histoire, le spectacle est vif, les acteurs tous excellents, il faut les citer : Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla. Par leur sens de la composition, ils nous plongent dans un véritable débat intérieur sur lequel l’auteur ne veut pas nous aider à prendre parti.
Emmanuel Serafini
1* https://inferno-magazine.com/2022/10/13/salle-des-fetes-le-sacre-de-lete/
Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















