FESTIVAL D’AIX. « SAMSON », UNE RESURRECTION D’UN OPERA DISPARU DE RAMEAU SIGNEE CLAUS GUTH

sanson aix

FESTIVAL D’AIX EN PROVENCE. « Samson » – Libre création de Claus Guth et Raphaël Pichon d’après Samson, un opéra perdu de Jean-Philippe Rameau et un livret censuré de Voltaire, inspiré de la Bible (Livre des Juges) – Direction et conception musicales : Raphaël Pichon – Mise en scène, concept et scénario : Claus Guth – Spectacle donné au Théâtre de l’Archevêché les 4, 6, 9, 12, 15, et 18 juillet 2024 à 21h30.

Spectacle original s’il en est, Samson résulte de la volonté commune de Raphaël Pichon et Claus Guth de reconstituer un opéra de Rameau sur un livret de Voltaire aujourd’hui disparu, censuré sans doute du fait de l’impiété dont l’auteur était taxé et des libertés qu’il aurait pu prendre vis-à-vis de la Bible.

Ce long travail de résurrection – on pourrait dire de reconstruction – s’est fondé sur des extraits des opéras de Rameau connus, dont certains figuraient sans doute dans la partition disparue, et sur les textes bibliques évoquant Samson dans le « Livre des Juges ».

La nuit tombe sur la Cour de l’Archevêché qui se remplit progressivement d’un public impatient de découvrir ce travail fascinant et de retrouver toute la richesse des partitions de Rameau. Le ton est donné par le décor, un riche intérieur – qui pourrait être un Hôtel particulier aixois – totalement dévasté par un fait de guerre ou un attentat. Des experts casqués estiment les dommages afin de garantir la sécurité du spectacle.

Une vieille dame apparait dans ce champ de ruines. C’est la mère de Samson, interprétée par la comédienne Andréa Ferréol. Une mère éplorée, désemparée, qui constate le carnage perpétré par son fils dans ce qui est peut-être le premier attentat-suicide de l’Histoire, la destruction du Temple des Philistins.

La mère, supposée stérile, narre l’histoire de ce fils tant désiré. Un ange s’élève lentement vers le ciel pour lui annoncer, au travers d’un air éthéré et chargé de poésie, qu’elle enfantera un fils consacré à Dieu – un nazir – chargé de délivrer Israël des philistins. Il ne devra se couper ni les cheveux ni la barbe et sera par là même doté d’une force extraordinaire.

La suite du spectacle est le récit de la vie de Samson, figure du héros ambivalent, partagé entre le bien et le mal, tendre ou brutal, amoureux ou haineux. On revit cette épopée biblique au travers d’extraits des opéras de Rameau, judicieusement choisis et toujours en rapport avec l’action. Ainsi Samson tombe amoureux de Timna, une Philistine, mais la noce se termine mal de par l’impulsivité et la violence de Samson. Après une vie d’ermite Samson tombe dans le piège tendu par les Philistins par le biais de Dalila dans une histoire devenue mythique et bien connue. Prisonnier des philistins, aveuglé, il retrouve toute sa force pour commettre le désastre destructeur final.

La scénographie, dans ce décor unique de temple dévasté, présente des images d’une grande esthétique dans des éclairages en clair-obscur. Les costumes sont sobres, blancs pour les hébreux et noirs pour les Philistins. Les scènes de combat contre les Philistins sont interprétées au ralenti, d’une violence suggérée par des jeux de lumières et la puissance musicale de la partition. Les ballets, souvent lourds et pompeux dans les opéras baroques français, sont traités ici sobrement, avec grâce et assortis de quelques acrobaties.

La distribution est recherchée et chaque personnage est crédible. Jarrett Ott dans le rôle-titre, est un Samson idéal, imposant tant par son physique que par sa voix puissante. Il incarne le héros avec nuances, tour à tour tendre, violent, torturé par ses démons intérieurs.

De la même manière Jacquelyn Stucker est une Dalila en tous points conforme à l’image que l’on s’en fait. Samson ne pouvait que tomber amoureux de cette femme d’une grande beauté et d’une nudité aguichante. La voix est tour à tour charmeuse et sensuelle puis désespérée dans le remords.

Tout aussi séduisante, Lea Desandre incarne Timna, la première femme de Samson, fragile et décontenancée par le comportement violent de son époux. La voix est limpide et traduit toute la fragilité du personnage.

Tous les autres rôles sont interprétés de manière crédible, tant sur le plan vocal que dans les jeux de scène. On retiendra la basse Nahuel Di Pierro qui incarne avec autorité Achisch, le Roi des Philistins et la magnifique intervention de Julie Roset qui, de sa voix pure et poétique, incarne le rôle de l’ange annonciateur.

Fidèle au Festival d’Aix et co-maître d’œuvre de cette création, Raphaël Pichon dirige le Chœur et Orchestre Pygmalion et nous offre quelques-unes des plus belles pages des partitions de Rameau, une musique pleine de grâce qui transmet l’émotion par sa pureté et sa beauté.

Ainsi Raphaël Pichon et Claus Guth peuvent s’enorgueillir d’avoir créé un nouvel opus à ajouter au catalogue lyrique de Rameau. Une œuvre accueillie par une ovation du public aixois et qui ne demande qu’à vivre dans l’avenir. Une œuvre magistrale sur le plan musical mais qui propose aussi une réflexion sur la religion, sur la justification de la violence, sur le cheminement psychologique de Samson, figure sublime mais esprit troublé qui se sent investi par Dieu jusqu’à cet « attentat-suicide » perpétré au nom de la vengeance, de la justice et de la religion. Un sujet on ne peut plus actuel.

Jean-Louis Blanc

Photo Festival d’Aix en Provence

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