UN « ZAÏDE » SURPRENANT MIS EN SCENE PAR LOUISE VIGNAUD

Opéra : « ZAÏDE » – Singspiel inachevé de Wolfgang Amadeus Mozart (1780) – Composition / orchestration : Robin Melchior – Mise en scène : Louise Vignaud (Création 2025) – Direction musicale : Nicolas Simon – Spectacle donné à l’Opéra Grand Avignon les 25 et 27 avril 2025.
Fidèle à sa politique d’alternance entre pièces du répertoire et découvertes, Frédéric Roels nous invite à découvrir ce singspiel inachevé et délaissé de Mozart composé en 1780. Une occasion rare d’écouter des airs d’opéra de Mozart sans les connaître par cœur, comme c’est le cas pour la plupart des amateurs.
Si l’œuvre de référence, imprégnée d’orientalisme et dont l’action implique un sultan et ses esclaves, semble un précurseur de « L’enlèvement au sérail » composé peu de temps après, l’adaptation de Louise Vignaud présente un tout autre sujet. Nous voilà ainsi sur une île austère, isolée quelque part sur un océan sans fin et en proie aux tempêtes. Une île habitée par trois sauvages venus d’on ne sait où qui forment une communauté immuable placée sous l’autorité du tyran Soliman qui règne sur son petit monde : Zaïde et Allazim.
Puis, inanimé et rejeté par les flots lors d’une terrible tempête, paraît Gomatz, issu du monde civilisé, chargé de mystères et perçu comme venant d’un autre monde. S’ensuit une histoire d’amour entre Zaïde et Gomatz qui rêvent d’ailleurs et qui projettent de s’enfuir avec la complicité d’Allazim et au grand dam de Soliman qui veut mettre à mort les fuyards.
Louise Vignaud nous livre ainsi un conte philosophique portant sur ce besoin irrépressible de découvrir le monde et de se découvrir soi-même, sur une quête de la Liberté et de la Vérité. Un sujet en phase avec les principes maçonniques de Mozart et son amour des Lumières dans lequel les airs originaux s’intègrent assez bien, même si leurs textes s’en écartent parfois.
Dans cette revisite qui ne manque pas d’audace, Louise Vignaud n’a pas hésité à créer un début et une fin à cette œuvre inachevée, y compris sur le plan musical au travers d’une composition spécifique de Robin Melchior. La pièce d’ouverture évoque la tempête préalable au naufrage avec vigueur et dans une orchestration riche et colorée. Des thèmes modernes qui font penser à Gershwin et qui s’intègrent assez bien dans le spectacle. Le final est d’une forme plus classique et en partie chanté. Le quatuor « nous partons … » qui termine le spectacle sur un dénouement heureux – probablement ce qu’avait envisagé Mozart – est bienvenu et s’insère assez bien dans l’action mais fait un peu regretter la musique de Mozart qui imprègne encore notre oreille, en particulier avec le magnifique quatuor qui clôt la partition originale « Freudin ! stille deine Träden ».
Sans doute symbole d’obscurantisme, l’action se déroule sur un décor unique. Une île noire, austère, aux antres mystérieuses, battue par les flots d’une mer impétueuse dont l’écume des vagues est curieusement représentée par des bouteilles en plastique. Clin d’œil écologique ou mauvais goût ? Un dispositif peu fonctionnel qui sert de décor à nos trois sauvages en bermudas attifés comme des vacanciers ou des randonneurs sortis d’on ne sait où.
Si le visuel et la mise en scène ne sont pas irréprochables l’interprétation musicale tient toutes ses promesses. L’Orchestre national Avignon-Provence, placé sous la direction nuancée de de Nicolas Simon, restitue brillamment tant le raffinement mozartien que la modernité colorée de Robin Melchior.
La partie vocale nous fait découvrir avec bonheur des airs de Mozart oubliés. Zaïde est interprétée par Aurélie Jarjaye, la voix est chaude, expressive et son jeu de scène traduit à merveille sa passion amoureuse, sa soif de liberté et son désir de découvrir le monde.
Kaëlig Boché incarne le rôle-clé de Gomatz, le naufragé, avec charisme et une belle présence scénique. La voix est limpide, puissante et la diction parfaite. Le couple qu’il forme avec Zaïde est crédible, rafraichissant et nous offre de beaux duos.
Le baryton Andres Cascante incarne Allazim avec une belle présence physique et vocale, personnage soumis au diktat de Soliman il se dévoile moins rustre qu’il n’y parait et plein de compassion pour le couple amoureux.
Soliman est interprété par le ténor Mark van Arsdale dont l’autorité fait une peu défaut. La voix est parfois effacée et le rôle surjoué. S’il est qualifié de tigre dans le bel air de Zaïde, il apparait plutôt comme un tigre de papier. Une option qui peut paraitre décalée mais qui prend tout son sens au dénouement quand il apparait que derrière ce personnage redoutable et autoritaire se cache beaucoup d’humanité et de tolérance. C’est sans doute comme cela que Mozart imaginait son sultan.
Dans sa vision très personnelle de l’œuvre Louise Vignaud introduit un cinquième personnage qui intervient dans un prologue, puis de manière récurrente. C’est une récitante, Inzel, interprétée par la comédienne Charlotte Fermand qui incarne un personnage fantastique, une sorte de génie de la mer, peut-être une parque qui gère la destinée des protagoniques pour les guider vers la Vérité et la Lumière. Personnage rapporté mais pertinent qui intervient en confidente du public mais avec une discrétion qui rend son texte souvent inaudible.
Louise Vignaud nous livre ainsi une fable philosophique sortie de son imagination mais qui reste dans l’esprit de l’œuvre originale et dont le grand mérite est celui de nous faire découvrir avec bonheur ces airs oubliés de Mozart. Au-delà de cette mise en scène inégale c’est une belle découverte musicale et ce spectacle pour tous publics reçoit un très bon accueil du public avignonnais
Jean-Louis Blanc
Image: Photo Studio Delestrade / Opéra Grand Avignon





















