« FACE-A-FACE », UNE INSTALLATION DES FRERES CHAPUISAT, CHAPELLE DES CALVAIRIENNES

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“Face-à-face” des Frères Chapuisat / Chapelle des Calvairiennes (Mayenne) / Jusqu’au 05 avril 2015.

Ramassée dans le chœur de la Chapelle des Calvairiennes, écrasée de toute sa hauteur contre le retable dont elle obstrue la vision, la dernière installation des Frères Chapuisat s’impose au lieu et au spectateur comme par effraction. L’enchevêtrement monumental de planches et de tasseaux en bataille, construction chaotique paraissant en équilibre précaire, n’a en effet rien d’un refuge domestique et réconfortant. Teintée de brutalisme, une de leurs sources d’inspiration architecturale, Face-à-face est une structure anguleuse en bois, un amas de bois de pin brut, dont la forme saillante et le montage intuitif évoquent clairement une impressionnante cabane d’enfant. L’expérience qu’elle propose n’est pourtant pas aussi innocente qu’on pourrait le penser: face à elle, le sentiment d’un écrasement domine et perturbe la quiétude de l’espace, quand, à l’intérieur, celui d’exiguïté prend le pas et installe une intimité potentiellement anxiogène.

Réalisée in situ, comme la plupart des œuvres accueillies dans la Chapelle, la pièce organise avec le lieu un dialogue à double tranchant. Dans le premier « face-à-face » la construction s’interpose avec une certaine violence entre le public et le retable, ne laissant plus rien voir ou presque du seul élément ornemental de la chapelle, par ailleurs laissée à sa vacuité. Iconoclaste au sens littéral du terme, le duo suisse gomme ici la représentation religieuse pour faire de cette maison de Dieu et refuge monastique un abri de survie démesuré, comme un asile précaire fait de débris, rompant ironiquement avec sa vocation protectrice.

La scénographie immersive de la construction invite à une plongée solitaire dans un tunnel fracassé en bois. Ce second face-à-face à l’intérieur de la structure installe les conditions d’une expérience introspective, d’un isolement physique qui flirte avec la notion de recueillement. De prime abord, cette solitude jouissive, ludique et malicieuse renoue avec une candeur enfantine. Mais plus le parcours se découvre alambiqué et tortueux, plus il apparaît comme un véritable chemin de croix, à peine praticable, dans lequel la conscience des repères et des distances semblent totalement faussée. Exercice de spéléologie en milieu artificiel, la visite exige du spectateur contorsions, tractions et poussées, laissant peu de place à la contemplation patiente. Pris au piège, ne pouvant compter que sur lui-même, il doit plutôt faire retour à son propre corps et éprouver ses résistances psychiques.

Le chemin compte enfin deux stations à atteindre. Au sommet, un étroit poste de sentinelle permet de contempler l’espace vide de la chapelle en position de surplomb. Tournant le dos à l’édicule et à la peinture Le Souffle de Dieu qu’il contient, le public peut alors, au terme d’un parcours étouffant dans cet espace confiné, prendre une respiration autant physiologique que psychologique. Sur le chemin du retour, le public est invité à faire une nouvelle pause dans une improbable salle à manger. Proposant une collation, cette cellule met en opposition le partage du repas, l’esprit de communion propre à la vie monacale, et l’isolement ici vécu, renvoyant dos-à-dos la mystique des calvairiennes à la solitude expérimentale du spectateur.

Seule exposition monographique des Frères Chapuisat en France cette année, «Face-à-face» présente, paraît-il, leur ultime construction en bois. Son caractère monumental pousse à son terme la logique de leur pensée bricoleuse qui révoque, sans l’ignorer, l’ingénierie religieuse pour retrouver l’esprit magique des sociétés archaïques. A travers ce face-à-face avec soi-même, les plasticiens proposent une alternative athée et indisciplinée au recueillement liturgique qui, sous les aspects d’une farce dangereuse, rend plus intense encore l’expérience de soi.

Florian Gaité

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Visuels : Les Frères Chapuisat, Face-à-face, 2015. Installation en bois de pin dans la Chapelle des Calvairiennes (Mayenne) © Les Frères Chapuisat

Comments
One Response to “« FACE-A-FACE », UNE INSTALLATION DES FRERES CHAPUISAT, CHAPELLE DES CALVAIRIENNES”
  1. Chapeau Bas aux Chapuisat,  » cyprés du ciel  » …!!!

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