FESTIVAL D’AVIGNON : UN « CANARD SAUVAGE » QUI A DU MAL A PRENDRE SON ENVOL

79e FESTIVAL D’AVIGNON : « Le canard sauvage » – d’après Henrik Ibsen – adaptation et mise en scène de Thomas Ostermeier – du 5 au 16 Juillet 2025 – durée 3 heures – Opéra Grand Avignon
Moment attendu de tous que ce retour au Festival d’Avignon du metteur en scène Thomas Ostermeier accompagné de sa troupe de la Schaubühne et c’est avec cette adaptation du Canard Sauvage que ce magicien rock’n’roll du théâtre compte cette année enflammer le public festivalier. Transposé dans une période contemporaine, le texte d’Ibsen est toujours bien présent et la transposition semble naturelle tant les questions posées sont intemporelles : toutes les vérités sont-elles bonnes à dire et peut-on vivre sans illusion ? Voila ce que pose à nous Gregers Werle qui, de retour dans sa ville natale pour un dîner organisé par son père, invite son ami Hjalmar Ekdal. Gregers se brouille avec son père en découvrant la suite de mensonges dans lesquels tout le monde patauge et décide que seule la vérité parviendra à sortir son ami et sa famille du chaos dans lequel ils se trouvent.
Par un astucieux décor pivotant, Thomas Ostermeier nous plonge dans ce huis-clos opposant deux mondes. Coté face, celui du père de Gregers, sorte de tout puissant industriel écrasant tout sur son passage, même ses proches. Coté pile, l’atelier photo d’Hjalmar, qui sert d’appartement à lui et sa famille.
Hjalmar et sa famille sont en faillite, dans tous les sens du terme. Faillite financière et faillite morale avec un patriarche alcoolique, tous broyés par les mensonges que chacun semble porter et les illusions d’Hjalmar, chef de famille désabusé de tout. Hjalmar n’a pour but que celui de plaire à son unique fille Hedvig, sorte de petit chat un peu sauvage au milieu de ses faux-semblants.
Comme à son habitude, Thomas Ostermeier donne une place de choix à la musique, ici du Métal, peut-être le pendant du chaos intérieur d’Hjalmar. La tension monte, lentement, peut-être un peu trop, et le candide Gregers, rôle tenu par l’excellent Marcel Kohler, épris de vérité, met le feu à toute les âmes qu’il touche, persuadé qu’il s’agit là de la seule voie vers le bonheur. Un bonheur pourtant fragile qu’a su construire la famille d’Hjalmar. Comme dans toute tragédie, on ne peut que ressentir ce malaise qu’apporte le sentiment que seul le pire peut arriver, même sous couvert des meilleures intentions. Et c’est bien cela qui va finir par arriver avec Hedvig, symbole de ce dommage collatéral.
Même épaulé par ses toujours formidables comédiens de la Schaubühne de Berlin, tous remplis d’une folle énergie, c’est un retour en demi-teinte du metteur en scène, peut-être désireux de montrer une autre facette de ses multiples talents avec une mise en scène un tantinet assagie par rapport à son dernier passage à Avignon lors de son mémorable « Richard III ». Mais ne boudons pas notre plaisir, car même si ce Canard a du mal à prendre son envol, Thomas Ostermeier montre et démontre une fois encore qu’il fait partie des grands et incontournables metteurs en scène et que chacune de ses créations constitue un moment important sur la scène internationale.
Pierre Salles
Photo Jérôme Rey





















