EUROPALIA FESTIVAL. « ISRAEL ET MOHAMED », QUAND LE DANSEUR ET LE METTEUR EN SCÈNE RENDENT HOMMAGE AU PÈRE

« Israel et Mohamed » – Israel Galvan et Mohamed El Khatib – Théâtre National Wallonie-Bruxelles, du 26 au 30 novembre 2025, dans le cadre du festival Europalia.

Nos pères, ces Héros…

« Si tu mets ton prénom, Mohamed, à côté de celui d’Israel, je ne viens pas voir le spectacle »… 

Dans cette phrase qu’on entend dans le film – témoignage donné par le père de Mohamed El Khatib, l’un des instigateurs de ce duo redoutable et bouleversant, réside toute l’ampleur du projet de ces deux artistes qu’on n’imaginait pas complices… 

Israel Galvan, qu’on découvre bègue, et Mohamed El Khatib, décrivent leur vie contre ou avec leurs pères et si pour ce dernier, il avait consacré déjà un spectacle émouvant à sa mère, on découvre qu’en pleine période d’une recrudescence du masculinisme, ces deux artistes se sont construits dans l’écho des clichés d’une société et de ses réflexes patriarcaux, machos même. 

On découvre aussi des destins contrariés de footballeurs, l’un devenu pro, Mohamed, et l’autre séchant les cours de danse pour taper dans la balle… D’ailleurs, l’indice de ce regret figure dans les costumes de Mohamed : t-shirt jaune, short bleu, chaussettes de tennis blanches, baskets et dans les accessoires détournés – qui feront le bonheur de ce spectacle – comme ces chaussures de foot à crampons, augmentés de fers, pour permettre au virtuose du Flamenco Israël Galvan de se lancer dans les soli mémorables de ce spectacle…

« Tribute » aux pères, donc, cette pièce commence sur un plateau presque nu, dans l’impressionnant Cloître des Carmes. Quatre écrans, deux supports en bois en forme L renversés sur roulettes de chaque côté de la scène, deux chaises oranges, avec les prénoms des deux artistes écrits en jaune, façon plateau de tournage de films, mais vraiment à petit budget tant ces sièges semblent avoir vécu… 

Après une mise en jambe de jardin à cour et de cour à jardin, façon entrainement de foot, les deux artistes exposent leurs pères, leurs vies et apportent des clés sur leur propre parcours basé sur une lutte à mort contre les images et clichés que leur renvoient leurs géniteurs… 

L’un arrive premier – pas le choix, le destin de la famille est de briller – mais ex-æquo, alors c’est la bastonnade et l’humiliation : « Je n’ai pas élevé des enfants pour qu’ils partagent la place de premier avec un autre ». Plus tard, la fille de Mohamed apporte un bulletin avec cette même mention et c’est le souvenir de la réaction de son propre père qui revient et l’indulgence et les larmes de Mohamed devenu père nous serrent la gorge. On est, nous aussi, prêts à pleurer…

La vie est faite d’accessoires et de symboles. Les deux complices de ce spectacle l’ont compris. Le choix était soit de faire un long film façon théâtre documentaire, soit de brandir des objets, fétiches, transitionnels. C’est la seconde piste qu’ils ont choisie : efficace !

Qui tend le tapis de prière. Qui enfile une à une les nombreuses médailles des concours gagnés. Qui brandit les babouches objet de sévices. Qui branche le perroquet offert par un père à son enfant bègue… autant de cruautés et de souvenirs qui nous ouvrent aussi la plaie de notre propre enfance, celles des injustices et des remarques blessantes sur la virilité d’une danse ou la grâce d’une pièce de théâtre.

Sourate 62, prière des Témoins de Jehova, mosquée factice, paradis de carton, livre unique qui résout tout, potion miracle qui fait repousser les cheveux… La place des croyances de ces personnes modestes, travailleurs dans des usines, petites gens dépassés par le succès de leurs enfants artistes, autant de moments qui nous relient aux deux perfomers de ce spectacle qui noue et renoue les tripes, comme une psychanalyse collective à ciel ouvert…

Nos pères, ces héros aux sourires si doux, pourrait-on psalmodier en paraphrasant Hugo dans son poème « Après la bataille »…  Vite jetés dans le monde du travail dans la construction d’une famille pour faire comme leurs pères leur ont dit que ce devait être… Les reproches de vive voix, les lettres qu’on lit haut et fort, ce d’autant plus que le père est analphabète « vos enfants sont vos ventriloques » pères craints, pères adulés, pères qu’on ne cherche pas à imiter…

Israel et Mohamed font bien le spectacle qu’on attendait, celui d’une fraternité d’hommes – artistes d’une même génération et qui se tiennent les coudes devant nous, admiratifs, mais cabossés par tant d’incompréhension de la part de leurs géniteurs…

Emmanuel Serafini

Première vue au Festival d’Avignon 2025Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

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