TRIBUNE : SCANDALUM CRUCIS ! A PROPOS DU CLIP DE XAVIER DOLAN QUI TITILLE LE CSA

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TRIBUNE : Scandalum crucis ! : A propos du clip de Xavier Dolan pour Indochine

Le CSA a souvent le grand mérite d’attirer notre attention sur des images que nous n’aurions sans doute jamais vues, et de rappeler que notre société entretient un rapport ambivalent avec la production artistique. Sans les réactions outrées de ses dignes représentants, avouons-le, le clip pourtant très talentueux de Xavier Dolan pour la chanson « College boy » d’Indochine, diffusé en ligne le 2 mai dernier, serait passé largement inaperçu. Mais voilà ! La violente diatribe de Françoise Laborde, membre du CSA, et la menace d’interdiction aux moins de 18 ans, ont relancé le sempiternel débat autour de la violence de l’image, et sur la légitimité de son contrôle à l’heure d’Internet…

Pourtant, en dénonçant ce film montrant un adolescent martyrisé et mis à mort par ses camarades dans le cadre cossu d’une école d’élite, les multiples commentateurs ont éludé le point culminant du récit : la mise en croix. Le talent de Xavier Dolan est justement de redonner toute sa force, toute sa violence, à cette image de crucifixion qui peuple nos musées, nos églises, et notre héritage culturel, mais que nous ne savons plus voir.

De sorte que l’on reste pantois en entendant Françoise Laborde, au micro d’Europe 1, se plaindre d’une prétendue « mode » de la violence et affirmer, tirant ainsi un trait sur deux mille ans d’histoire de l’art occidental : « la mort, ce n’est pas esthétique. La violence, ce n’est pas esthétique. La torture, ce n’est pas esthétique. » N’a-t-elle jamais contemplé le corps décharné du Christ peint par Grünewald ? N’a-t-elle ressenti aucune émotion devant le corps érotisé de saint Sébastien criblé de flèche ? A-t-elle détourné le regard devant les fusillés de Goya, ou face au grand chaos de Guernica ? Il est vrai que l’intensité de cette violence artistique est variable selon les temps, sans doute en fonction de la dureté de la réalité vécue et de la place accordée aux images par la société. Les Christs sanguinolents du XIVe siècle succèdent ainsi à la sérénité des Seigneurs en majesté des tympans gothiques, comme le romantisme tourmenté tranche avec le sage et ennuyeux néo-classicisme.

Il n’est pas certain qu’en la matière, la production de notre époque, pétrie d’autocensure, fasse preuve d’une particulière audace. Sa violence nous frappe davantage car elle entre en résonance directe avec celle de notre temps, alors que la force des oeuvres du passé nous arrive atténuée, débarrassée de l’acuité de leur contexte. Celle de Xavier Dolan, évoquant le rejet de la différence, débarque dans une ambiance chauffée à blanc par la violence homophobe qui s’est déversée dans les rues pendant plusieurs semaines.

C’est pourquoi la défense légitime du réalisateur, exprimée dans une lettre ouverte parue dans le Huffington Post et qui réduit la querelle à celle des anciens contre les modernes, paraît maladroite. La violence artistique n’a rien de particulièrement moderne, et ne se justifie pas par la croissance exponentielle des moyens de diffusion. Elle ne trouve sa raison d’être que dans la justesse de son propos et dans la qualité du geste créateur. Quant aux débats qui l’accompagnent, ils sont aussi vieux que l’histoire de l’art.

Ce qui choque sans doute le plus dans le clip de Xavier Dolan, c’est peut-être que le massacre a lieu dans le cadre protégé d’une école huppée, sous le regard complice d’autorités solides, bien loin de la barbarie de banlieue dont la dénonciation est toujours plus facile. En cela, le propos du réalisateur canadien rejoint le cinéma de Pasolini, bien autrement violent, et qui avait réussi à retrouver toute la force subversive de l’histoire évangélique, ce « scandale de la croix » dont parlait saint Paul. Alors oui, ces images choquent, car c’est leur rôle, leur fonction salutaire. L’art est bien autre chose qu’une simple décoration. Mais peut-être faudrait-il afficher à l’entrée de nos églises et de nos musées un sévère avertissement : « ces lieux contiennent des images susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes ». Et pourquoi seulement des plus jeunes… ?

Paul Payan, 10 mai 2013

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