LES AVENTURES DE LA VERITE : QUAND BHL JOUE AU CURATOR A LA FONDATION MAEGHT
Exposition « Les aventures de la vérité » Peinture et philosophie : un récit / commissariat Bernard-Henri Lévy / Fondation Maeght / Jusqu’au 11 novembre 2013
La réserve naturelle est différente du zoo, le visiteur croit à sa liberté, la variété des espèces et le choix des bêtes doivent assurer un espace vital si considérable que l’éventail des émotions et des découvertes nous prodigue de la satisfaction à différencier courses et fatigues. Dans la réserve, l’idée de sauvage est sauvegardée. Quelques belles pièces seront privilégiées, baboins ou zébus, la qualité du pelage montre le bien fondé de l’idée de parc.
En art contemporain, cela fonctionne pareillement.
La maîtrise d’ouvrage est confiée à un curateur tout puissant qui va sélectionner un panachage de ses penchants. Ne pouvant se procurer toutes les oeuvres qu’il ambitionne de rassembler, il se rabat sur ce qui est disponible. Ces décalages sont parfois plus pernicieux que le premier choix.
L’homme-orchestre à l’acronyme de luxe BHL nous propose à la Fondation Maeght sa composition pour l’été. Peinture et philosophie après Musique et peinture ou les Livres et l’art du peintre sont des vaches sacrées. Il s’est exposé dans « les aventures de la vérité ». Au milieu des 165 pièces montrées, des joyaux surnagent, de vrais morceaux d’anthologie ou des oeuvres rares. Ainsi l’impressionnant Diamond dust shoes d’Andy Warhol au format implacable de 202 x 150 (poussière de diamant sur Arches).
La notion de « récit » qui veut expliciter le choix des bêtes annonce la couleur : un éclectisme de classe, une sorte de cabotage en yacht. Dans le court livret tout en longueur fourni avec les 15 E de l’entrée, les commentaires lapidaires crépitent à propos d’un François Rouan qui dort dans les réserves de la Fondation depuis des lustres. Ouvrez bien vos esgourdes, tendez vos pavillons : « Quand un plastème (la tresse) inspire un philosphème (le noeud boroméen). » Un plastème comme un phonème ou un blasphème. D’autres pépites à propos de Platon et Socrate qui sont bombardés et bachotés à toutes le sauces avec ce concept de Contre-Être, soi-disant hérité de Nietzsche. A propos de la Caverne de Platon, un monolithe en carton de Huang Yong Ping où, par un trompe-l’oeil, l’on peut voir des statues de dos dont un bouddha éclairés par une lumière chancelante : « Le simulacre n’est plus un destin, c’est un choix. On ne naît pas leurré, on le devient. On peut, inversement, décider de ne plus l’être. Il y a une issue. Il y a un espoir. Sortir du platonisme par le platonisme ? Mais oui.La voie chinoise. »
Comme le dit Félix Guattari dans une vidéo projetée sur la terrasse dans une mer d’écrans aveuglés par le soleil : «Oui, l’artiste est un héros de l’incorporation personnelle. » Les sept séquences qui scandent le périple narcissique de B-H Lévy sont nommées : la Fatalité des ombres, Technique du coup d’Etat, la Voie Royale (l’hommage à Malraux par son clone qui nous dispense son musée imaginaire à son tour), Contre- Être, Tombeau de la philosophie et les deux derniers la revanche de Platon et la grande alliance. Notre apprenti-sorcier clown blanc et arbitre des élégances insiste sur l’énormité de la philo et de la peinture en tant que « procédure de vérité ». Que d’un processus d’élucidation advienne le moyen de découvrir une vérité intrinsèque est d’un idéalisme douteux : faire quelque chose un tableau une photo, ne prouve rien. Cette façon de décerner les bonnes configurations sent son répétiteur, le surveillant d’internant de Normale Sup.
Bric à brac de brocanteur qui étale ses découvertes : l’impressionnant Saturne de Victor Hugo sans jamais toutefois se départir d’un sens confondant de l’arbitraire qui proviendrait de l’antique. Engranger dans une même salle Tiepolo, Rubens, Juan Gris, Marina Abramovic, montre bien que la stylisation des connexions et contre-pieds datent, indiquent une date c’est-à-dire l’inactualité de la démarche de désigner une guest star, un nom comme commissaire d’exposition. La pulsion archaïque du recensement blanchit la scène, l’expo agit tel un gigantesque autoportrait morcelé, on voit bien que faire face, interroger la face, correspond pour le juge de paix international BHL à radiographier sa boîte crânienne, au point que les projections idéalisées du magistère doivent nous éclairer. L’oeuvre de Jean-Michel Alberola, un cul du cheval en plastique moulé dans l’escalier, doit nous éclairer par deux citations de bachotage. Le kitsch est au carrefour des intentions, l’inversion de tendances toujours opportune. Comme si la grande fragilité d’un causeur lui faisait questionner l’irreprésentable.
Ce type d’événement exhibitionniste est tout à la fois surprenant et frustrant. Les pied de nez de boutiquier, l’ouverture du bazar à toute heure intrigue un premier temps mais lasse très vite. Une sorte de parodie de l’apprenti-sorcier qui manipule les associations et nous ressort la Datcha, oeuvre collective qui entérine un choix polémico-intellectuel des années 70 et 80 : Lacan, Foucault, Althusser, Barthes trinquant à la gloire du monde dans un salon à baie vitrée. C’est l’époque Kissinger et Gorbatchev, ce retour d’une perestroïka en tant que symptôme de transparence, d’une nouvelle lisibilité qui amalgame exceptions et priorités, confirme l’ensemble de la surexposition en tant qu’assomption du bêtisier germanopratin. On a même l’oeuvre décadente hyperréaliste de Sergueï Kitcko peinte en 1987 montrant Lénine en train de lire des bandes de télex. La réception des oeuvres basée sur la connivence autorise des décalages étroits.
Pour BHL, il n’y a de dialogue qu’avec ses fantômes. Toutes les intentions sont surlignées, pas de véritables surprises. Le cheminement mental qui favorise et lustre l’association est loin d’être perceptible car un tel sens de l’impromptu est prisonnier de sa propre versatilité. Afin de régler des correspondances, par à coups des choses très belles isolées tel cet autoportait du sculpteur Paloma Varga Weisz en bois de tilleul et acrylique qui rappelle la statuaire du musée de Brou. Un magnifique Victor Brauner, un Picasso costaud mais à parcourir les salles pendant plus de deux heures, toujours une réticence qui empêche d’emporter le morceau, par exemple le Babel impressionnant des Chapman est mal éclairé, mal disposé. La porte ouverte à tout va de l’éclectisme permet particulièrement cela, une perméabilité des assiduités : il n’y a pas de conduite. Rothko est accolé à Schütte. Un chaos orchestré dans la même salle de 30 m2 entre un Aillaud, un Valloton, un Bernar Venet, Klossowski et Abdel Abdessemed confirme le pataquès cabotin : il n’y a de vision que celle de l’assembleur.
Les poncifs les plus grands concernent le besoin de tutelles, d’abris ou de pare-soleils Lacan, Socrate, l’Holocauste. Contre-forts d’un habitus, ils visent non l’estomac mais un partage d’intérêts cautionnés par les vitrines habilement conçues et dédiées aux dadas et aux futuristes. Montrer Hugo ou Guy Debord signe l’appartenance à un monde où il faut dire que l’on pense.
Que l’on ait affaire à des animaux empaillés ou aux derniers vestiges d’espèces en voie de disparition, la prime de notoriété n’empêche ce discours de cour de récré au sujet du combat de la philosophie et l’art, leur intrication et interdépendance jusqu’à l’impossible réconciliation, de retomber comme un soufflet. Par le mauvais choix opéré des oeuvres, en particulier les sculptures, l’immonde Barcelo, un mauvais Immendorf et un César plus qu’ingrat, l’amateurisme règne. Même l’oeuvre sélectionnée d’Anselm Kiefer est loin d’être une de ses meilleures. Un manque de volonté, de soutien d’une ligne artistique ou tout simplement d’une pensée, font de ce déballage un mont-de-piété où les pièces sont gagées par leur passéisme – une vingtaine d’oeuvres seulement postérieures à 2010 – où Cremonini parade, aussi égaré et arbitrairement montré qu’un Boucher ou un Giordano de 1610.
L’ensemble de l’appareillage qui consiste à représenter Socrate ou Platon qui consiste à représenter Socrate et Platon de multiples fois comme cautions ressemble à un hangar d’oeuvres confisquées d’un fonds européen de la pensée. Pères putatifs au même titre que Lacan (aux livres cramés par Bernard Aubertin) et Lénine, les chefs de gare ne nous emportent qu’à des rotondes de retournement de veste. Le café de Flore de 3 m sur 4 d’Immendorf montre le monde qu’habite Bernard Henri Levy, son pré-carré. Il s’est exporté à proximité de la Colombe. Simone Signoret va le faire sauter sur ses genoux. Les enfants gâtés ont toujours plus de jouets à leur disposition.
Les seules exceptions où une sensibilité se fait plus pertinente : ce sont les oeuvres prêtées par le musée juif de Tel Aviv, dont celle de Paloma Varga Weisz, les affinités électives paraissent là beaucoup plus justes. Une méconnaissance plutôt époustouflante ne nous envahit soudainement plus, les oeuvres sont reçues à une échelle humaine testamoniale sans apparats ni chichis.
Le cocktail de multiplicité des références saoule à force de vouloir combler les fondrières de l’histoire ; outre le sentiment de vieillot, d’incantation du passé concernant des valeurs refuge, le panthéisme généralisé d’une universalité où tout se correspond aurait dû se cantonner à une lisière où les oeuvres parlent en vérité à celui qui les donne à voir.
Visuels : 1/ Philippe de Champaigne « La vanité », 2/Andy Warhol « Diamond dust shoes »
![champaigne-la-vanite-782x600[1]](https://inferno-magazine.com/wp-content/uploads/2013/07/champaigne-la-vanite-782x6001.jpg?w=640&h=491)























On est vraiment loin de l Art et de la Philosophie. Comment vous pouvez exposer une abomination pareille. C est une double insulte, la première pour les artistes et la deuxième pour les philosophes.
???