FESTIVAL TEMPS D’IMAGES : ROGER BERNAT, « NUMAX-FAGOR-PLUS »

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Roger Bernat, Numax-Fagor-plus / Le CENTQUATRE / du 24 au 26 septembre 2014 / dans le cadre du festival Temps d’Images avec ARTE.

On connaît Roger Bernat pour son théâtre immersif et participatif. Son travail repose sur la participation du public dont les décisions et actions influencent le cours et le contenu ses pièces. Ces dernières intègrent les paysages humains et sociétaux dans lesquels elles se déroulent et invitent à une réflexion artistique et politique. C’est dans cette même optique qu’il crée Numax-Fagor-plus.

Cette pièce se base sur le principe de reenactment que le metteur en scène utilise pour rejouer des assemblées générales d’employés de deux usines espagnoles ayant fermé à 30 ans d’intervalle : l’usine d’électroménager Numax en Catalogne et celle de Fagor au Pays Basque. Dans les deux cas, ce sont plus de 1.000 employés qui sont priés d’abandonner leur emploi (une vie !). Alors que les premiers décident de se lancer dans une expérimentation d’autogestion utopique, les seconds au contraire se résignent et se défendent peu pour conserver leurs droits.

La pièce propose donc aux spectateurs de prendre la place de certains ouvriers et de vivre ces deux moments, symboles de la désindustrialisation de notre continent. Assis sur des chaises installées en ellipse, le public est pris entre deux écrans sur lesquels défilent les paroles prononcées par les ouvriers en leur temps. Une performeuse actionne le dispositif depuis un tabouret surélevé d’où elle fait passer des diapositives où les paroles sont inscrites. Tandis qu’au-début de la performance les spectateurs hésitent à prendre la parole, peu-à-peu ils sont nombreux à se prendre au jeu.

Plus la pièce avance, plus la participation des spectateurs est importante, jusqu’à prendre la place de la performeuse qui finit par disparaitre complétement du dispositif. Chacun commence à prendre le ton juste et faire sien l’engagement et le désespoir de certains des personnages. Une certaine forme d’empathie prend place face à ce que l’on se retrouve à dire. Comme les marionnettes actionnées par un artiste caché dans les coulisses, nous sommes invités par la force des choses à adhérer au discours dont nous sommes les relais.

Œuvrant sans cesse entre manipulation du public et mise en évidence de vérités latentes, Roger Bernat nous invite à une réflexion incarnée sur le capitalisme industriel et sur le rythme écrasant qu’impose ce dernier aux êtres humains qui en composent la base. Si nous nous sentons manipulés par un dispositif théâtral un peu lourd, nous ressentons de l’intérieur la situation de ceux qui furent les acteurs réels de ces deux épisodes jumeaux. Tandis que les capitaux se déplacent librement d’un continent à un autre, les hommes et les femmes qui le font fonctionner restent et sont souvent les victimes d’un système qui les accable.

Le traitement didactique laisse pourtant peu de place à l’appréciation et au jugement personnel et l’on sort avec l’impression un peu désagréable d’avoir participé à un jeu qui n’était pas le nôtre. Mais n’est-ce pas là la vertu de cette pièce que d’obliger le spectateur à faire sien, au-delà de ces intérêts individuels, à l’un des problèmes majeur de notre société ? A savoir l’aspect prédateur d’un capitalisme industriel et financier qui laisse sur le carreau des ouvriers dont nous connaissons souvent mal la situation.

Quentin Guisgand

Numax-Fagor-plus sera aussi présenté à la Villette dans le cadre de l’Esprit de groupe du 17 au 28 mars 2015.

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photos © Blenda

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