TRIBUNE : LES SCANDALES ARTISTIQUES GONFLENT… ET SE DEGONFLENT

685856--

LA TRIBUNE de Yann Ricordel.

Les scandales artistiques gonflent… et se dégonflent

En 1967, Claes Oldenburg fait creuser dans le cadre d’une commande de la ville de New York son Placid Civic Monument, qui consiste en une simple fosse. Nommer « monument » une œuvre qui est en fait un « anti-monument » s’enfonçant dans la terre en plein enlisement du conflit vietnamien, la situer qui plus est à quelques dizaines de mètres de la « Cleopatra’s Needle » de Central Park : on voit bien dans cet exemple historique que les significations possibles de ce qui s’apparente à un « earthwork » (ou une œuvre de « Land Art ») dépend largement du contexte environnemental et discursif.

On pourrait en dire autant de l’œuvre de McCarthy, ce sapin de Noël à la fois inspiré de Brancusi et d’un objet que le large accès à la pornographie américaine « gonzo » a promu au rang de symbole du folklore planétaire : le plug anal. Autrefois réservé à un cercle d’initiés, on le trouve aujourd’hui chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Ainsi, la double identité de l’objet gonflable proposé par McCarthy pour la Place Vendôme ne faisait de doute pour personne, y compris les plus jeunes. L’artiste a regretté que cet incident n’ai pas « engendré une réflexion profonde [sic] sur la signification des objets comme mode d’expression à part entière », évoquant la « pluralité de leur signification ». J’ai très peur que si nous menions cette réflexion, elle n’irait d’une part pas très loin et que d’autre part elle amènerait à des conclusions allant au détriment des commanditaires de l’œuvre gonflable et de son auteur.

Selon un processus simplet dont Mc Carthy a fait sa marque de fabrique depuis au moins les années 1970 par l’usage détourné de l’imagerie populaire, très vaguement appuyé sur le freudo-marxisme, il s’agit ici de jeter un « éclairage », à très peu de frais en dehors du coût de fabrication de l’œuvre, sur les fondements libidinaux du folklore de Noël (une relecture de Economie libidinale de Jean-François Lyotard peut s’avérer ici utile), dont le marketing fait, s’agissant de l’exploitation de ce marché si je puis dire « juteux », un large usage. Pourquoi ne pas avancer que le Père Noël est une figure crypto-pédophile ? McCarthy entendait-il sincèrement renverser cette odieuse mise en scène capitaliste en partenariat avec la culture bureaucratisée ?

Je pense pour ma part que si l’agression physique de l’homme de 69 ans était exagérée, le succès de l’opération est totale. McCarthy s’est toujours situé dans le registre de la provocation, et si la provocation ne suscite pas de réaction, c’est qu’elle n’a pas fonctionné. Je pense que ceux qui ont pris le risque de « désactiver » l’œuvre nuitamment l’ont d’une certaine manière activée d’une autre manière, en l’inscrivant dans un scénario certes éculé (« L’artiste d’avant-garde contre les méchants réactionnaires »), mais qui finalement achève l’œuvre sur le plan de l’imaginaire collectif, la faisant accéder au rang de conte qui se transmettra de génération en génération, qu’on évoquera encore au siècle prochain. Finalement, cette gentille pantalonnade rend service à McCarthy en renforçant son statut déjà solide d’artiste officiel de renommée internationale.

Yann Ricordel

FRANCE-ART-TREE

Placid-Civic-Monument-de-Claes-Oldenburg

Visuels : 1 : « Tree » de Paul McCarthy gonflé, 2014 / 2- dégonflé, 2014 / 3- Claes Oldemburg « Placid Civic Monument » 1967 / copyright the artists

Comments
One Response to “TRIBUNE : LES SCANDALES ARTISTIQUES GONFLENT… ET SE DEGONFLENT”
  1. Marin Favre dit :

    Entièrement d’accord, et pas mal d’humour, merci !

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Opéra Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives