EMILIE INCERTI-FORMENTINI, « LA VIRTUOSITE INDISCRETE » : ENTRETIEN AVEC GUILLAUME VINCENT
Emilie Incerti-Formentini : « la virtuosité discrète ». Entretien avec Guillaume Vincent autour de « Rendez-vous Gare de l’Est.
Emilie Incerti-Formentini briguera peut-être le Molière de la meilleure actrice cette année au-dessus d’une poignée surannée dans une nuit de fin d’Avril. Entre ses doigts ce texte magnifique de délicatesse et joies secrètes : Rendez-vous gare de l’Est. Il s’est joué à la Maison des Métallos et ce fut l’occasion d’échanger avec son auteur quelques phrases autour du courage qu’implique pour sa comédienne une telle épreuve.
Inferno : Comment avez-vous réalisé le montage du texte pour restituer au plus proche la parole de votre amie maniaco-dépressive ?
Guillaume Vincent : Au début les entretiens portaient exclusivement sur la maladie, sur les crises. D’entrée de jeu, le désir de cerner la maladie est apparu. Au cours des trois premières séances, un ton directif a innervé mon questionnaire. Elle parlait beaucoup, je parlais peu. L’une de mes premières questions : quels sont les médicaments que tu prends en ce moment ? Elle déplia sa liste.
J’ai abandonner le point de vue du médecin. Je la connaissais assez pour explorer d’autres strates : Assedic, appartement… Ce sont des choses banales, quotidiennes et pas du domaine de l’excentrisme de la maladie qui nous ont permis avec Émilie de trouver l’endroit de parole.
Au début je ne pensais pas faire de ce recueil d’interviews un spectacle. Je retranscrivais juste ses mots d’une façon très scolaire : mot à mot. Ensuite, je me suis tourné du côté des à-côtés, tout devait être absorbé et faire théâtre.
Inferno : Pourquoi dans « Rendez-vous gare de l’Est », l’actrice évoque t-elle ses passages en hôpitaux psychiatriques d’une manière positive ?
Guillaume Vincent : Ses passages lui ont fait du bien. Elle a pu se relâcher, chez elle le réel est tout simplement invivable. C’est le monde tel qu’il est dans sa tête et dehors qu’elle ne supporte plus. Elle dit : la société me rejette parce que c’est compliqué d’être comme je suis, parano, dépressif…
la question centrale est de savoir ce qu’est un fou pour une société, ou bien, comment l’expérience de la folie maniaco-dépressive délivre peut-être à la fin des fins un regard plus lucide, singulier sur ce qui nous environne que la folie dite normative, celle qui est directement issue de l’espace public, présente partout et nulle part à la fois ?
Inferno : Paradoxalement cette crise existentielle passe dans le spectacle non pas dans l’abandon total, mais au contraire le firmament éclate au travers d’une rétention émotionnelle de la part de l’actrice et du jeu qu’elle exécute notamment avec sa main…
Guillaume Vincent : C’est un spectacle assez corseté, son parcours est écrit à ligne. L’épreuve pour la comédienne chaque soir est de se situer face à un public. La pièce échafaude un dialogue entre elle et ce qui se passe autour, les mouvements des spectateurs.
Si une hostilité du public lui parvient, elle est affectée à l’intérieur. La salle est éclairée, les regards sont de plain- pied. Par exemple hier soir deux personnes ont toussé et pour moi cela a gâché la représentation, l’intensité, car elle est teintée des réactions du public. Émilie peut tout jouer, si je lui avais demandé de se répandre en larmes sur scène, elle l’aurait fait. Je peux apprécier par moment l’excès, les larmes, les cris. Mais on est sur le fil et à un moment elle craque. Juste avant que j’intervienne sa main touche son visage et le cache, l’instant est trop intense, explosif. Mais comme c’est fait à partir de riens, cela fait événement et tout ce qu’elle fait avec ses mains aussi. L’illogisme est restitué à son plus haut degré de virtuosité. Un ami m’a envoyé ce texto au sujet d’Émilie hier : « bravo pour sa virtuosité discrète ! » Cette phrase touche juste et colle à ce qu’elle est.
Inferno : Comment avec une position statique parvient-elle à dynamiser le langage ?
Guillaume Vincent : Beaucoup d’émotions sont inscrites sur son visage. Quelque chose est statique, mais à l’intérieur, le mouvement est perpétuel. J’avais à l’oreille l’intonation de mon amie. Émilie n’a jamais entendu les enregistrements, on a travaillé ensemble par couleurs et gestes. Je ne voulais pas être formel ni réaliste. Je préfère me situer à la frontière.
Propos recueillis par Quentin Margne.
Photo: Elisabeth Carecchio






















