FESTIVAL D’AIX : UN MAGISTRAL « OPERA DE QUAT’ SOUS » DE THOMAS OSTERMEIER

FESTIVAL INTERNATIONAL D’AIX EN PROVENCE : L’Opéra de quat’sous – Bertolt Brecht – Musique de Kurt Weill – Créé le 31 août 1928 à Berlin – Direction musicale : Maxime Pascal – Mise en scène : Thomas Ostermeier – Spectacle donné au Théâtre de l’Archevêché les 4, 5, 7, 10, 14, 18, 20, 22 et 24 juillet à 22h.
La programmation du Festival d’Aix-en-Provence confirme sa volonté de renouveau, de création et de découverte au travers d’une interdisciplinarité qui se veut parfois iconoclaste. Après la remarquable création de Romeo Castellucci, « Renaissance », au Stadium de Vitrolles lors du l’édition 2022, c’est au tour de cet opéra qui n’en est pas un, « L’Opéra de quat’sous » de Bertold Brecht, de créer la surprise. Semblant tout droit échappée du Festival d’Avignon, cette parodie d’opéra, cette provocation immorale et politique qui remue le couteau dans la plaie n’a rien perdu de sa force tant elle met en lumière les dérives du capitalisme et les tares de l’Humanité, universelles et intemporelles. Rien n’y manque dans ce domaine : le crime, la corruption, la trahison, le mensonge, la cupidité, la luxure et une atmosphère délétère qui ne manque pas de piquant.
Cette pièce de théâtre engagée, illustrée de ballades chantées – c’est ainsi qu’on pourrait la qualifier – va comme un gant à Thomas Ostermeier à qui ont été confié l’adaptation et la mise en scène dans le cadre d’une nouvelle traduction. Un artiste fécond bien connu du Festival d’Avignon pour nombre de créations qui ont marqué ce festival – dont un Richard III mémorable. Un spectacle qui sied également parfaitement à la Comédie Française dans la mesure où il contient des rôles en or pour faire briller les talents de comédiens des membres de cette troupe mythique, sous réserve que ceux-ci parviennent à maîtriser la partie chantée.
Nous voilà donc plongés dans le quartier Soho de Londres, lieu de toutes les perversions, où le couple Peachum plante le décor. Jonathan Peachum qui contrôle toute la mendicité de la ville, se plaint de son « business » – car « la pitié n’est plus ce qu’elle était » – mais semble toutefois y trouver largement son compte. Sa femme Celia évoque trivialement les horreurs de ce milieu tout en rêvant de jours meilleurs. Mais la réalité est dure et l’on est pragmatique : « D’abord la graille… et la morale, après ! ». Mais voilà que leur fille tombe amoureuse d’un criminel notoire, Mackie surnommé Mac-la-lame que les Peachum, en quête de respectabilité, aimeraient bien voir pendu. Un criminel qui règne sur une bande de nervis pas très malins et accoquiné avec Brown, le shérif corrompu.
La mise en scène de Thomas Ostermeier est fluide et dynamique et prend des airs de cabaret. Des micros fixes en avant-scène permettent aux acteurs de s’adresser directement au public qui est parfois sollicité et mis à contribution. Tout le spectacle se déroule sur fond sombre dans un décor unique constitué d’un praticable métallique avec plate-forme, escaliers et passerelle qui permet une bonne mise en espace des protagonistes et qui produit des images d’ensemble souvent esthétisantes au travers de couleurs et d’éclairages recherchés. Le décor est complété par une sorte de pleine lune et d’autres surfaces géométriques qui sont le support de photos, de vidéos et autres motifs semblant évoquer les années 1920. Enfin Le titre des chansons et le contexte des différentes scènes sont explicités par un texte lumineux qui défile sur des poutres disposées pêle-mêle côté jardin.
L’interprétation est remarquable et nos comédiens du Français semblent bien s’amuser, tout en ayant fait sans doute de gros efforts pour assumer – avec plus ou moins d’aisance – la partie chantée qui reste prépondérante et qui donne tout son attrait au spectacle, que l’on attend et qui constitue une sorte de synthèse, un peu comme les arias d’un opéra baroque.
Le couple Peachum est particulièrement réussi. Christian Hecq interprète Jonathan Peachum avec beaucoup de charisme, un Jonathan facétieux, retors dans ses petites affaires et qui se verrait bien en respectable bourgeois. Son jeu de scène et ses mimiques, expressives et bienvenues, en font un voyou bien sympathique. Véronique Vella incarne Celia Peachum avec beaucoup de présence. Elle n’est pas en reste avec son bagou qui exprime toute la vulgarité et l’obscénité du milieu interlope sur lequel règne le couple. Leur fille, Polly, innocente et amoureuse, est interprétée par Marie Oppert dont la voix limpide et sensuelle sort du lot. Elle se heurte, devant les grilles de la prison où Mackie est incarcéré, à Lucy – la fille du Shérif Brown et la vraie femme du criminel semble-t-il – interprétée par Claïna Clavaron. Le « duo de la jalousie » chanté par ces deux femmes amoureuses et accrochées aux grilles de la prison est un beau moment musical et de sincérité qui apporte un peu de fraîcheur dans ce milieu délétère et étouffant.
Le terrible criminel Mac-la-lame est interprété par Biran Ba qui semble souffrir dans les parties chantées. Inquiétant dans son costume de cuir noir mais un peu sur la réserve, on aurait aimé un personnage plus terrifiant que ça, comme l’évoque célèbre « Complainte de Mackie » en préambule du spectacle. Le reste de l’interprétation est remarquable de justesse avec Benjamin Lavernhe en Shérif corrompu et fragile, Véronique Vella en prostituée cupide et délatrice et une bande de sbires crétins à la solde de Mackie.
Dans la fosse Maxime Pascal dirige avec verve son orchestre « Le Balcon », composé d’une dizaine de musiciens, où les instruments à vent prédominent. La direction musicale, équilibrée, dynamique et toujours cohérente avec les voix, est un des points forts du spectacle. Un spectacle qui n’est pas vraiment un opéra mais qui l’est tout de même un peu quand même.
Thomas Ostermeier et la Comédie Française produisent en ouverture de ce Festival un magnifique spectacle d’une brûlante actualité dans sa vision pessimiste, triviale et réaliste de la Société et de l’Humanité. Un spectacle clôturé par une nouvelle chanson offerte « exceptionnellement » au public : « Partez à l’assaut des nouveaux fascistes ». Tout est dit !
Jean-Louis Blanc
Photo J.L. Fernandez





















