AVIGNON : UN « A NOIVA E O BOA NOITE CINDERELA » FORT ET VIOLENT, DONT ON NE SORT PAS INDEMNE

77e FESTIVAL D’AVIGNON : « A Noiva e o Boa Noite Cinderela- Capítulo 1 da Trilogia Cadela Força » de Carolina Bianchi – à 21h30 au Gymnase du lycée Aubanel, du 6 au 10 Juillet 2023.

Dans un décor quasiment chirurgical, immaculé, la performeuse brésilienne Carolina Bianchi, dans un ton presque universitaire, débute le spectacle comme une conférence sur les violences faites aux femmes de tout temps. Enumérant les violences, Carolina Bianchi décrit le calvaire subi par l’artiste Italienne Pippa Bianca violée, tuée et retrouvée nue dans un fossé lors d’une de ses performances itinérantes. Très vite le spectacle bascule, laissant dubitatif le public médusé. Carolina Bianchi prépare un verre et le boit en annonçant qu’elle vient d’avaler la drogue des violeurs appelée au brésil « Bonne nuit Cendrillon », mélange de sédatif et d’alcool. Impossible de ne pas ressentir alors le malaise entier du public interrogatif. Mise en scène ou réalité d’une performance radicale ? Peu à peu Carolina Bianchi s’endort et les artistes de sa compagnie prennent le relais.

Impossible de sortir indemne de ce spectacle protéiforme où tout est à la fois théâtre, danse, performance, où tout est à la fois intime et universel. Ici, la violence est plus décrite dans les cicatrices que dans l’acte lui-même. Alors que la première partie se bornait à énumérer les violences, la deuxième partie s’insinue dans l’âme de ces femmes violentées, un, deux ou trente ans après. C’est alors que chacun des spectateurs peut percevoir ce cri intérieur de rage ou de tristesse.  Il devient alors impossible de sortir de ce spectacle comme l’on est entré. A ces moments précis, terriblement mise en scène, la violence devient nôtre et un focus immédiat s’opère entre le comédien et le spectateur assis au fond de son fauteuil. Carolina Bianchi plonge chaque personne présente ce soir dans les entrailles déchirées de ces femmes violentées, l’énumération introspective devient pesante, torturante dans une ambiance lourde et silencieuse. Quelques longueurs peuvent parfois nous détacher du rôle prévu pour le public par la metteuse en scène mais ces silences et ces attentes deviennent à posteriori indispensables à la respiration de la performance.

Carolina Bianchi et sa compagnie Cara de Cavalo propose avec ce premier volet d’un triptyque un moment fort du cette 77ème édition du Festival. Un spectacle qui fera date tant sur le fond que sur la forme, qui ne peut que laisser le spectateur dans un état second, comme hésitant entre deux mondes, celui du pur spectacle et celui d’une noire réalité. Une réalité que la metteuse en scène rappelle à notre souvenir au travers d’une résurrection qui ramène aussi à la vie le public au bord du gouffre. L’accueil du public, explosant après deux heures de souffle retenu, porte encore davantage cette performance dure, belle et dont le souvenir se fera longtemps sentir en chacun des spectateurs comme ces traces indélébiles à l’âme de ces femmes violentées.

Pierre Salles

Photo C. Raynaud de Lage

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