« PORTRAIT DE L’ARTISTE EN ERMITE ORNEMENTAL » : COLLIER DE PÂTES EN ARGILE

77e FESTIVAL D’AVIGNON. « Portrait de l’artiste en ermite ornemental » – Patrick Corillon – Chapelle des Pénitents Blancs.
« Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? […] Faites l’inventaire de vos poches, de votre sac. Questionnez vos petites cuillères. Qu’y a-t-il sur votre papier-peint ? » (L’Infra-ordinaire) Georges Perec est un auteur qui s’intéresse aux détails, aux petites choses presque invisibles qui tapissent notre quotidien. Son projet poétique « d’interroger l’habituel » semble partagé par Patrick Corillon dont le spectacle porte une attention forte aux micro-mouvements, tropismes qui l’entourent. La dernière partie du spectacle invite ainsi les spectateurs à manier avec délicatesse un plateau en bois, comme un métier à tisser. Celui-ci est orné de minuscules figurines d’argile, qu’il faut déplacer le long de fils, à mesure qu’on nous raconte une histoire, au sujet d’êtres à peine perceptibles, enfouis dans la terre ou perdus dans le ciel. Le plasticien explique aussi porter une grande attention aux « images flottantes » qui viennent s’imprimer sur ses paupières lorsqu’il les incline : « là je vois une bouche puis un visage qui tout doucement vient se mettre autour de cette bouche. » Enfin, la vive curiosité que suscite les petites croix – indispensables au placement des comédien-nes sur le plateau de théâtre – achève de brosser le portrait d’un artiste amoureux du microscopique et des ornements, proche du des Esseintes de Huysmans qui prend plaisir à vêtir la carapace sa tortue de petits diamants.
Les détails qu’il présente depuis son pupitre – majuscules, petites croix blanches, formes géométriques – possèdent une simplicité ouverte à leur métamorphose. Les croix, marionnettes sans corps maniées par une voix, indiquent la présence absente d’un corps et suffisent à ancrer une image à partir de laquelle peuvent se construire des histoires. Patrick Corillon ne cache pas son amour pour les contes et ne réprime pas son désir de nous en raconter : après un « poule renard vipère fermier », place à l’épopée d’un morceau de son enfance, dans les rues de Paris puis au musée, façon Zazie dans le métro, en un peu moins marrant. C’est à ce moment là, nous explique t-il, que naît véritablement son amour pour l’art, au cours de ces colonies de vacances « iconoclasses », entre des tableaux dans lesquels il voudrait se fondre ou dans les dédales d’un entrepôt où il réalise ce fantasme, immobile, comme une peinture, pour se cacher.
C’est à un très beau spectacle que nous convie Patrick Corillon, en deux parties très intéressantes, accessibles et ludiques, qui doit donc plaire aux petits comme aux grands. Cependant, on sent que l’artiste est bien plus plasticien que comédien : nous ne sommes pas totalement emportés dans son univers de grand passionné. Bien que la réalisation des œuvres soit excellente, le jeu théâtral qui permet de les mettre en relief manque un peu de tonus. Le texte n’est pas non plus à la hauteur de son travail artistique : phrases souvent très attendues et manque de cynisme en sont la cause. La banalité culmine à mes yeux au moment du conte : il n’y a pas vraiment d’intrigue et les éléments s’enchaînent comme des perles viendraient s’ajouter à un collier – diamants juxtaposés sur carapace. Cette léthargie à laquelle on est doucement amenés reste néanmoins très agréable en plus d’être parfaitement cohérente avec le projet du spectacle : les détails, les images, les mondes, continuent de vivre, de flotter dans nos cerveaux bercés, et si l’on s’égare on trouve toujours l’occasion de se raccrocher à un fil, au-dessus d’une petite boîte, d’un tout petit théâtre, pour y déplacer un ver de terre, un sourire ou un œuf d’oiseau.
Célia Jaillet





















