BIENNALE DE DANSE DE LYON : AVEC « ART. 13 », PHIA MENARD GUERROIE CONTRE LE PATRIARCAT

art 13

BIENNALE DE LA DANSE DE LYON 2023 : « Art.13 » – Phia Ménard – Théâtre des Célestins, Lyon – Du 15 au 19 septembre 2023 à 21h – Durée : 1h40.

« Ils sont là, ils sont partout, dans les campagnes, dans les jardins, dans les théâtres »

Art. 13 n’est pas un tableau de chat noir allongé sous plusieurs échelles infernales mais l’Article numéro 13 issu de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, censé garantir à tous et toutes la liberté de circulation sur la Terre. Mais nous ne sommes malheureusement pas tous égaux face à la loi.

Dans un jardin à la française aseptisé, entouré de buissons rectilignes – nature forcée d’arrêter les curieux par ces sortes de haies – une forme étrange, sorte d’enfant perdu, au masque vaudou très coloré, décide de visiter l’endroit, d’abord en rampant avant de se relever en conservant toujours dans ses déplacements des postures ambiguës, décalées, jolies à regarder. S’il se heurte à la statue qui trône au centre du petit parc, il ne cesse, même en la détruisant, de s’amuser avec elle. Son costume lui donne l’air d’être sorti d’une nuit d’American Nightmare, où les rôles sont inversés au nom du carnavalesque pour permettre à chacun et chacune de faire sa catharsis : les apatrides ont enfin droit de déboulonner les statues moches de ceux qui contraignent la terre en la modelant à l’image policée qu’ils revendiquent. L’enfant laisse libre court à son imagination, fabriquant un avion avec la statue démembrée, une passerelle avec les pierres sans doute pour traverser une mer, un ciel, un socle inébranlable.

Avec l’arrivée d’une seconde statue dont on n’aperçoit plus que les pieds, largement plus imposante que la première, le spectacle poursuit son questionnement sur la porosité des mondes, susceptibles d’être détruit : suffit-il de disséquer une image pour entraver son apparition ? Comment est-ce qu’on passe à travers les espaces ? Quels sont ceux qui peuvent nous absorber ? Est-ce qu’être physiquement dans un lieu suffit pour l’habiter ? L’enfant fait son entrée non pas depuis Cour ou Jardin mais du fond de la terre, en transperçant la verdure parfaitement lisse du gazon. Les « nuisibles » n’ont pas le droit d’entrer par la porte principale, alors ils font des trous au sol. S’ils peuvent détruire une statue très européenne et patriarcale, ils finiront absorbés par le pouvoir le plus lourd et le plus figé : très puissante image de ce mur énorme avalant l’interprète, de la tête aux pieds. Phia Ménard écrit : « Détruire le patriarcat, ce n’est pas faire tomber des images, c’est d’attaquer au socle pour remettre les frontières et le pouvoir à niveau de corps. » Et son spectacle est une belle représentation de cette idée.

Quelques réserves : l’esthétique est un peu kitsch, et si l’on comprend bien que ce plastique policé au vert outré représente tout un pan de notre culture, en guerre contre le barbare, le sauvage, la forêt noire, ce culturel-là manque légèrement de naturel. Les archétypes écrits en majuscule sonnent comme des évidences très explicatives : les deux hommes en costume d’une blancheur toute propre sont les méchants enfermés dans leur masculinisme, l’enfant tout bigarré est libre, sorcière, migrant, tout à la fois. Or on n’aperçoit qu’un petit morceau de cette liberté : on aimerait que l’enfant fasse voler les dalles, construise des déséquilibres, mette du vernis aux ongles de la grosse statue ou au moins qu’il puisse essayer d’escalader toute sa hauteur. Mais dans l’ensemble, Art. 13 est un très bon spectacle s’inscrivant dans le cycle tout juste ouvert des jardins et des ruines, où le ver de terre n’a pas à être amoureux d’une étoile et où les étoiles de marbre et de toc peuvent très mourir.

Célia Jaillet

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