BIENNALE DE DANSE DE LYON : PEEPING TOM, REJOUEZ PLUTÔT VOS ANCIENS SPECTACLES, SVP

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BIENNALE DE LA DANSE DE LYON 2023 : S 62° 58’, W 60° 39’ – Peeping Tom – Mise en scène : Franck Chartier – Au TNP Villeurbanne du 20 au 22 septembre 2023 à 20H.

S 62° 58’, W 60° 39’, un naufrage absolu

C’est ma petite sœur qui m’a parlé pour la première fois de Peeping Tom, avec des étoiles dans les yeux qui n’ont pas tardé à rejoindre les miens. Pendant deux ans, régulièrement, j’ai tapé sur Youtube le nom de cette compagnie en espérant toujours que de nouveaux extraits, si ce n’est des captations entières, étaient apparus sur la toile. Je me faisais des soirées de binge-watching exquises. Pendant toutes ces années, Peeping Tom pour moi, ça a été un baiser prolongé, scotch invisible aux dents, pendant qu’un enfant était baladé entre deux paires de bras, des portes qui claquent au pas, des pointes à l’envers des orteils, du vent dans des corps gracieusement disloqués, acrobatiques à la perfection : des images ouvertes en deux, d’une puissance évocatrice folle. Quand j’ai appris qu’ils jouaient dans le cadre de la Biennale de la Danse, au TNP, à deux pas de chez moi, j’ai couru les voir, comme toute bonne groupie qui se respecte, des étoiles dans les yeux, dans les cheveux, partout. Je suis revenue en marchant, un verre de Suze à la main.

Cette pièce est un naufrage absolu, et qui se regarde se noyer, avec son bateau éventré au milieu de la scène, narcissisme ultime d’avoir le luxe de la médiocrité dans ce beau théâtre dans lequel j’aimerais bien jouer. On essaye de nous y parler d’apocalypse, de réchauffement climatique, de mer gelée en nous, de manque d’amour, de familles qui se déchirent, de création théâtrale, de scission entre l’artistique et le réel, le vide et l’idéal, mais il n’y a aucune dramaturgie, les tableaux s’enchaînent à la queue-leu-leu, comme des poissons dans une ligne de production. Trois exemples accablants : 1 – Une femme fait la défense d’un poisson en voie de disparition puis un mec éclate le-dit poisson sur le sol. Comme ça. OK. 2 – Un homme et une femme doivent jouer une rencontre amoureuse : le mec pète un câble (mais vraiment) parce que la fille lui marche sur le pied puis après ils s’embrassent langoureusement comme des adolescents, sans aucune tenue corporelle. (Alors qu’il y avait eu cette scène mythique du baiser dans l’une de leurs précédentes créations !!) 3 – un homme doit jouer la douleur après avoir perdu sa femme : l’actrice n’arrête pas de sortir de son rôle pour je ne sais quelles raisons comiques et l’homme joue très très mal cette souffrance pendant 8 minutes étirées au possible.

Mais ce n’est pas le pire : que les choses soient saupoudrées, comme-ci comme-ça, pour le plaisir de montrer la tête de machin dans un iceberg, passe encore. Ce qui n’est pas acceptable (eh oui je m’improvise censeure) c’est de représenter des choses sans aucune pertinence théâtrale ou politique. Les personnages féminins sont sans épaisseur, idiotes comme des huîtres, meurtries par les clichés. La première est une exubérante très superficielle, peluche toutou dans le sac à main qui déplore d’être constamment reléguée aux rôles de femmes-victimes : « je veux être en trois dimensions » hurle t-elle en brandissant un drapeau « viva la vulva » mais en restant tout à fait la même, avec sa voix super aigue. L’autre est une intello écolo sexuellement frustrée à qui on dit « roooh mais arrête les poissons sont en plastique ». La folie de la demi-diva finit par s’atténuer après un viol plutôt intéressant dans son traitement mais encore une fois sorti de nulle part, d’une cuisse de dieu, pour finir cantonnée au rôle silencié de mère aimante et protectrice du jeune enfant présent au plateau. Il y a aussi la jeune stagiaire qui se fait draguer très lourdement par un des comédiens. Quelle pertinence aujourd’hui pour ce genre de scènes ?

Fort heureusement, le metteur en scène Franck Chartier, au micro, quelque part dans la régie, est capable de faire, en plus de la rétrospective narcissique de ses créations, l’auto-critique de son spectacle en chantier, et je cite parce que j’ai pris des notes, comme toute bonne journaliste frustrée qui se respecte : « il n’y a plus rien d’artistique » / « je n’ai plus aucune idée » / « ce bateau représente les mauvaises directions qu’on peut prendre dans sa vie ». C’est donc une pièce sur le ratage qui se gaufre royalement, et ce n’est pas parce que Beckett a dit « Essayez encore. Ratez encore. Ratez mieux. » qu’il faut tout prendre au pied de la lettre. Ce n’est malheureusement pas en dénonçant les travers et les fragilités d’un objet qu’on parvient à en redorer le blason. Il ne suffit pas de proclamer « ohlala tous mes personnages féminins sont des victimes » pour qu’une femme forte sorte comme par magie du chapeau de Jupiter et que le spectacle se pare d’une aura féministe. Et puis le méta-théâtre, franchement c’est vu et revu, alors c’est si c’est pas pour innover, autant remballer ces comédiens en crise, qui jettent l’éponge et claquent la porte du théâtre en insultant (parce que c’est drôle hahahaaa!!) le Franck artiste dans sa tour d’ivoire. La dernière scène néanmoins est vraiment bien : elle part d’une bonne idée et comporte quelques fulgurances – mais ne vaut malheureusement pas la peine de se taper tout ce qui précède. Dommage qu’à la fin une femme se soit levée pour rejoindre le comédien, incapable d’affronter le monde extérieur : levée par politesse sans doute, désir que le spectacle s’abrège, il ne faudrait tout de même pas qu’on soit forcées d’essuyer toujours les mêmes larmes de crocodiles des masculinistes. A la fin aussi, standing-ovation, tout le monde s’est levé, et même des amis avec lesquels j’ai depuis coupé contact : l’avis que je propose ici n’engage donc que moi, et si ce spectacle m’a déplu c’est peut-être aussi que je suis passée à côté de l’essentiel : n’hésitez pas à me dire où il était.

Célia Jaillet

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