BIENNALE DANSE DE VENISE : IL N’Y A PAS DE LIMITE !

BIENNALE DANSE DE VENISE 2024 – Du 18 juillet au 3 août 2024.

IL N’Y A PAS DE LIMITE !

Pour cette 18ème édition de la Biennale de danse – qui a lieu, finalement, tous les ans ! – le chorégraphe britannique Wayne Mac Gregor, qui dirige cette manifestation, a placé sa programmation sous la bannière de « we humans » qu’on peut traduire par « nous, les humains » et qu’on peut (doit ?) rapprocher du mot d’ordre de la Biennale d’Art contemporain, qui se déroule en même temps (voir notre chronique), à savoir « étrangers partout »… On arrive en accolant les deux thèmes à un jeu de cadavre exquis mais qui n’est peut-être pas le fruit du hasard tant ce que nous avons pu voir se place aussi sous l’angle de la recherche en danse mais davantage dans l’occupation de l’espace que dans la danse elle-même.

Nous avons commencé notre immersion dans cette programmation par « Deadlock », une chorégraphie de Cristina Caprioli, Lion d’or de la danse 2024.

Ce qui fait tout le charme de cette biennale qui se déroule dans les bâtiments désaffectés de l’Arsenal de Venise – on y fabriquait naguère, en un seul tenant, les mètres de cordage des bateaux de la Sérénissime d’où leur longueur immense – ce sont les espaces sublimes où se déroulent les spectacles.

Dans « Deadlock », le dispositif est voulu comme une expérience pour le spectateur car, avant que ne commence vraiment le spectacle, les gens peuvent déambuler dans l’espace puis revenir s’asseoir dans des sièges noirs placés de façon inhabituels, en suivant la courbe des écrans, comme une réponse à ce blanc immaculé qui nous entoure. Cristina Caprioli nous plonge ainsi dans la danse, magistralement interprétée par Louise Dahl, puissante et inlassable dans ces tours et ces jeux de bras, dans cet espace en forme d’ogive où sont placés astucieusement des écrans non pas bêtement de face ou simplement sur un des côtés, mais en ellipse, découpés tout autour de nous et sur lesquels la danse est d’abord projetée avant que n’entre la danseuse pour habiter littéralement seule le plateau. Les parties du corps sont projetées et les images, de fait à cause – ou grâce – à ce dispositif, sont coupées. Le bras sur la partie basse de l’écran, la main juste au-dessus mais sur un autre écran. Les corps semblent distendus, infinis. Les images se rependent dans l’espace de la face au lointain. La musique de Richard Chartier, omniprésente, sorte de prise de son dans le cosmos, passe d’un grondement à un souffle pour laisser place à un bruit strident, assourdissant. La danseuse surgit cheveux courts, costume blanc et s’engage dans un mouvement des bras. Le buste est très fluide. Elle semble se pencher comme pour saluer et repars dans une échappée. A l’écran, les gros plans sur les parties du corps accompagnent la danse. Les lumières crues, presque cliniques font ressortir les détails mais aussi placent la soixante de spectateurs présents dans un état d’attention extrême. Cette chorégraphie très expérimentale, pas loin de la danse Soufi avec ces tours et ces mouvements du buste, s’accorde bien avec l’esprit de la Biennale d’Art contemporain qui se déroule tout autour.

La spécificité de cette Biennale – je dois dire depuis des années, son intérêt – c’est la présence du Collège de la danse, une académie de haut niveau qui forme et permet à seize danseurs du monde entier mais aussi d’Italie, de se former et de présenter des pièces.

C’est le cas de « Lethe a search for the waters of oblivion » qui a été imaginée pour ces danseurs par la chorégraphe québécoise, issue de la compagnie de Marie Chouinard, Dorotea Saykaly aidée pour la seconde pièce « This was meant to find you » par Emil Dam Seidel.

Pour « Lethe a search for the waters of oblivion », on entre là aussi dans un espace complétement déstructuré. Le plateau est un immense rectangle gris autour duquel les spectateurs sont assis sur des bancs. Au sol, à la face, un danseur tout de noir vêtu – il est sera magnifique dans ses glissés arrêtés durant tout la pièce – et au lointain, en gris clair, un autre corps allongé au sol. Le premier, à la manière d’une Myriam Gourfink, va lentement se lever et son intention est très juste, ses mouvements mesurés. C’est très maitrisé On pense au butho. Le second danseur au lointain se relève mais dans une énergie plus affirmée et qui casse un peu la logique de gestes de l’autre danseur. On aurait aimé quelque chose de plus choral. Les autres danseurs, sans qu’on ne s’explique ni pourquoi ni comment, surgissent sur la scène pour former un octette. Les danseurs ne sont pas tous au même niveau mais ceux qui sont bons le sont vraiment. La musique un peu kitch fini par lasser, cela devient de fait assez formel, un peu « ballet jazz » alors que la ligne contemporaine aurait été sans doute plus lisible avec une composition sonore plus riche, plus développée. Il y a de beaux portés, de belles images et surtout des danseurs qui se donnent à fond comme si leur vie en dépendait, c’est touchant.

Dans la seconde pièce, « This was meant to find you », présentée dans un autre espace, sur un tapis-miroir noir qui nous oblige à être soit pieds nus, soit en chaussettes, soit d’enfiler d’adorables sure-chaussures noires, on peut faire le tour des danseurs qui sont dans une statuaire mobile, tous habillés de résille sombre. Ils se relèvent doucement. Les spectateurs sentent qu’il faut dégager et assis, ici où là, ils regardent cette chorégraphie très new âge et ces 8 danseurs vont aller et venir dans une diagonale faite de danse contact, de danse arrêtée entre marche de zombi et danse des revenants – largement aidés par la musique, là aussi ultra présente, mais n’offrant pas une matière intéressante. Cette allégorie du Ying et du Yang, image sans doute inspirée du fait que les deux leader du groupe, à la technique parfaite, sont l’un de couleur et l’autre blanc est un peu compliquée à défendre dans son ensemble mais reste une expérience pour les spectateurs qui ont la possibilité de toucher des yeux les interprètes concentrés et engagés dans une danse qu’ils défendent avec moins de réserve que nous.

La Biennale de danse offrait ensuite la possibilité de découvrir « There was still time » de la napolitaine Maria Chiara de’ Nobili associée depuis 2020 à l’allemand Alexander Miller. Vivant à Dresde, ils se sont rencontrés  à l’occasion du confinement où ils sont mis en commun leur passion pour le breakdance, le danse contemporaine et urbaine. Récompensés au Scapino Ballet de Hanovre, il propose ici à Venise une architecture de néons disposés dans l’espace où Nam Tran Xuan, pantalon noir, chemise et chaussette verte pétante, attire l’attention aussi par l’étrangeté de son visage. Arrivé dans la peine-ombre du lointain, il est dans une attitude plus théâtrale mais, comme on le verra, garde une danse de qualité, précise. Faisant penser à la danse des signes chère à Pina Bausch, il écrit avec des gestes. Il est rejoint sur scène par un autre danseur, lui aussi arrivé par le lointain. Il a une chemise blanche avec des dessins de palmiers bleus un pantalon noir lui aussi mais des chaussettes rose fluo. Outre la danse, ça parle beaucoup dans cette pièce. Une sorte de duo à la « je t’aime moi non plus » mais le tout est immuablement placé au centre du plateau, laissant à croire que les chorégraphes ne s’intéressent pas à l’espace disponible autour, ce qui est dommage. Ce duo à la façon d’un muet à la Buster Keaton perd vite de son intérêt. La musique là aussi n’apporte pas assez. Il faut attendre le solo final de Alessandro Ottaviani pour regretter le manque d’images fortes et une chorégraphie somme toute sommaire et comme le dit le titre, « s’il y avait du style » il ne nous est pas complètement parvenu.

C’est avec « Folklore Dynamics » de Noemi Dalla Vecchia & Matteo Vignali, directeurs de la compagnie milanaise Vidavé, que se termine notre immersion dans cette Biennale.

Entre danse-théâtre, cette jeune compagnie est bien déjantée. Arrivant de la salle, les danseurs s’échappent au lointain du plateau dans un contre-jour puisant qui donne au geste une sorte de manifeste sur leur vision de la chorégraphie, tout à l’envers ! Éminemment politique et poétique, cette génération se rebêle contre l’uniformité et le quintette passe tout à la moulinette de leur vision… La voix off sert de fil conducteur et la première partie est intéressante La pièce prend une tournure plus formelle, avec force pointes tendues, beaux portés et sauts maitrisés – ce qui n’est pas si mal ! – Il faut donc suivre ce collectif en se souvenant du solo final sur le choix, la direction à prendre et si « tout est dans la tête » se souvenir que, comme pour cette Biennale « il n’y a pas de limite » et pourvu que ça dure !

Emmanuel Serafini

Image: Cristina Caprioli « Deadlock », à la Biennale Danza de Venise 2024

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