INFERNO

FESTIVAL D’AVIGNON 2025. VIVE LE SUJET ! TENTATIVES – SERIE 1 : « Un spectacle que la loi considèrera comme le mien » – Olga Dukhovna / « Chapitre quatre » – Wael Kadour – Jardin de la Vierge du Lycée Saint Joseph.

Exercice de style.

La SACD reprend ses quartiers dans le Jardin de la Vierge du Lycée St Joseph qui prend, petit à petit, sa dimension de laboratoire d’expériences affirmé avec ce mot « tentatives » qui indique à nous-mêmes et aux artistes « vous pouvez rater » mais aussi – et surtout – vous pouvez essayer… 

Un endroit donc où les artistes peuvent poser leurs questions et la jeune danseuse ukrainienne Olga Dukhovna, passée par PARTS, l’école d’Anne Térésa de Keersmaeker à Bruxelles et qui a dansé 15 ans chez Boris Charmatz, veut savoir si, légalement, elle a le droit de danser « Trio A » une de pièce d’Yvonne Rainer, la papesse de la postmoderne danse américaine… 

Son projet est de ne garder que les gestes et de le vider de leur substance pour en « re » faire quelque chose avec ses intentions et ses sentiments… 

Problème, ladite Yvonne R a expressément refusé que quiconque danse « Trio A » sans que ses propres « passeurs » aient transmis eux-mêmes la danse à la personne qui souhaite l’interpréter… 

Comment faire alors pour nous faire la démonstration de cette danse à l’état initial et nous montrer la nouvelle version imaginée par Olga… 

Et c’est là qu’intervient sur le plateau l’avocate en droit des auteurs Pauline Léger qui, sorte d’empêcheuse de danser hors la loi, donne des voies de passage possibles à Olga qui devient non plus libre de sa danse, mais esclave du possible juridique… 

C’est très bien fait. Cela permet de se poser de bonnes questions et de voir que le chemin entre plagiat et parodie est ténu. 

Entre les chorégraphies de Marius Petitpas tombées dans le domaine et celles d’Anne Térésa de Keersmaeker plagiées par Beyoncé, Olga Dukhovna est d’une virtuosité folle et d’une espièglerie qui lui permettra, soyons-en sûrs de s’en sortir par une pirouette ! 

Et rien d’autre ?

Laboratoire donc, mais aussi lieu de résistance ; riche idée de confier à l’auteur metteur en scène syrien Wael Kadour, l’année ou l’arabe est la langue invitée du Festival, une expérience de réactivation d’un événement connu de lui seul…

Le 24/07/2008, Yasser Abdel-Latif saborde, faute de comédien, la représentation de « Un ennemi du peuple » de Ibsen qu’il mettait en scène à Damas et s’empare du chapitre 4 en disant haut et fort le monologue incendiaire de Peter Stockmann, juge de première instance, maître de police, président de la société thermale et frère aîné du docteur Tomas Stockmann, médecin de la station thermale qui dénonce sa pollution… 

Grande pièce de Ibsen ou les lanceurs d’alertes de 1882 sont moins bien vus que nos contemporains – encore que, avec Julian Assange, on peut en douter… 

Dans un dispositif simple mais sophistiqué fait de micros et de retours son, Wael Kadour tente de nous sensibiliser à l’enjeu pour lui de cette reconstitution et de ses conséquences pour Yasser Abdel-Latif. 

L’arabe se mélange au français. Le récit dit l’arrachement compassionnel qu’il a avec ce metteur en scène qui deviendra, par son choix, son attitude à son tour un ennemi du peuple… 

La maquette du jardin de la vierge comme seul souvenir du décor de sa pièce, posée sur une table blanche de 2 mètres, raconte aussi le souvenir d’une gloire déchue. Ce déracinement qui saisit les intellectuels en fuite qui se retrouvent de médecin adulé dans leur pays à chauffeur de taxi dans le pays où ils se réfugient. 

Le parallèle entre « Un ennemi du peuple » et la famille Assad de Syrie frappe.  

Comment vit-on avec le fait d’avoir tué ? 

On essaie d’imaginer la pièce sans ce Peter Stockmann… une expérience à tenter, qui sait, dans ce jardin de la vierge, siège de tentatives subversives…

Emmanuel Serafini

Image: « Un spectacle que la loi considèrera comme le mien » d’Olga Dukhovna / DR