FESTIVAL D’AIX. « LA CALISTO », UN BIJOU DU BAROQUE VÉNITIEN SUPERBEMENT RESTITUÉ

De notre envoyé spécial à Aix

FESTIVAL D’AIX EN PROVENCE. « LA CALISTO » – Opéra de Francesco Cavalli (1602 – 1676) – Livret de Giovanni Faustini, d’après les Métamorphoses d’Ovide – Créé le 28 novembre 1651 à Venise – Direction musicale : Sébastien Daucé – Mise en scène : Jetske Mijnssen – Spectacle donné au Théâtre de l’Archevêché les 7, 10, 12, 15, 16, 18, 20 et 21 juillet à 21h30.

C’est avec bonheur que le Festival d’Aix nous propose une incursion dans la Venise du XVIIème siècle, ce grand moment dans l’histoire de l’Art occidental, largement inspiré par la mythologie antique, au travers de ce bijou de musique baroque qu’est « La Calisto ».

Le livret s’inspire du Livre II des Métamorphoses d’Ovide et il y a toujours une certaine jouissance à retrouver les dieux de l’Olympe, ce fabuleux panthéon de dieux profondément humains mais dotés de pouvoirs fantastiques qui a constamment inspiré les artistes et stimulé l’imagination des hommes depuis la Grèce antique.

Le monde est en feu, l’eau des fleuves remonte vers leurs sources, le monde se meurt. C’est le moment pour Jupiter de quitter l’Olympe pour régénérer la Terre. Il tombe amoureux fou de la nymphe Calisto qui refuse ses avances, elle-même amoureuse de la déesse Diane. Le pouvoir de Jupiter n’a pas d’effet car il a donné aux hommes une âme libre. Sur les conseils de son fils Mercure il se métamorphose en Diane pour séduire Calisto. Une histoire d’amour tourmentée, fil conducteur de l’action, qui se superpose à une passion amoureuse inassouvie entre Diane et le jeune Endymion. Si l’on ajoute Pan, amoureux éploré de Diane et Lymphée qui recherche désespérément un homme mais qui refuse les avances du Petit Satyre, on aura compris que l’opéra aborde toutes les facettes du sentiment amoureux dans tout ce qu’il a d’universel et d’intemporel.

Des sentiments amoureux admirablement traduits par la musique ornementée et expressive de Francesco Cavalli comme la passion charnelle de Jupiter, la passion sensuelle de Calisto, l’amour platonique d’Endymion, la chasteté autoflagellante de Diane, jusqu’à la jalousie de Junon qui se venge de son époux volage en défigurant Calisto. Pris de pitié et toujours épris, Jupiter transformera Calisto en une constellation brillant au firmament – la Grande Ourse selon la mythologie grecque.

La métamorphose de Jupiter évoque ce thème très contemporain de confusion entre le sexe et le genre et apporte de nombreux traits d’humour. Calisto vit incontestablement une passion lesbienne avec Diane mais semble ressentir tout le plaisir de l’amour hétérosexuel au travers des tendresses de la fausse Diane. L’évocation de sentiments homosexuels n’est pas absente non plus et il est assez amusant de voir Jupiter travesti stupéfait par la déclaration d’amour d’Endymion.

Pour Jetske Mijnssen, la complexité des sentiments, la séduction, la manipulation, les vices de ces personnages résonnent avec le roman de Choderlos de Laclos « Les Liaisons dangereuses ». L’action se déroule ainsi au XVIIIème siècle. Les costumes d’époque sont somptueux, chatoyants, de couleurs pastels. Le décor évoque un luxueux salon lambrissé de l’aristocratie de l’époque et un judicieux plateau tournant permet de faire apparaitre les différents lieux de l’action par le biais de magnifiques tableaux avec des éclairages raffinés et un constant souci d’esthétique.

Une beauté des images qui n’a d’égale que la beauté de la partition de Cavalli. La ligne mélodique est continue, fluide. Les récitatifs sont riches et travaillés. Les airs sont colorés et abordent toutes les tessitures, jusqu’à celles des contre-ténors toujours aussi ensorcelantes et remarquablement servies ici. Un spectacle dans lequel la beauté règne en maître, tant sur la scène que dans la fosse.

La complexité de l’action fait intervenir un grand nombre de personnages interprétés ici par dix chanteurs qui couvrent la plupart des tessitures de l’opéra baroque. La distribution est homogène et chacun est crédible dans son rôle.

Calisto est interprétée par la soprano française Lauranne Oliva tantôt fragile et naïve, tantôt passionnée. La voix est puissante dans tous les registres, pure et aérienne.

Le rôle de Jupiter est confié à la basse américaine Alex Rosen qui possède tout le charisme et la puissance qu’on attend du maître des dieux et du monde. La voix est profonde et altière. Sa métamorphose en Diane, ou plutôt son travestissement, relève de la comédie et apporte les principales touches d’humour du spectacle. Ce machiste, maladroit dans ce corps de femme, interprète cette fausse Diane avec sa voix de tête et s’en tire assez bien malgré un timbre curieux et des imperfections certainement volontaires, cohérentes avec ce rôle de comédie. Une véritable performance !

La mezzo-soprano italienne Giuseppina Bridelli incarne avec nuances la déesse Diane, tour à tour sévère avec Calisto en bigote de la chasteté et amoureuse enflammée lorsqu’elle dévoile enfin son amour refoulé pour Endymion. Un Endymion admirablement interprété par le contre-ténor français Paul-Antoine Bénos-Djian, à la fois mélancolique et passionné, qui attire l’empathie avec sa voix chaude et prenante.

Junon est interprétée par la mezzo-soprano italienne Anna Bonitatibus avec autorité et prestance. Jalouse et fière de sa puissance, elle préfère se venger sur la victime de son mari plutôt que de lui faire front et semble s’être résignée depuis longtemps à ses infidélités.

C’est le ténor américain Zachary Wilder qui incarne Lymphée dans un rôle travesti. L’interprétation est cohérente avec ce personnage comique, fébrile, en manque de séduction, empressé de trouver un homme mais qui rejette toutefois les avances du Petit Satyre.

Le dieu messager Mercure, fils de Jupiter est interprété par le baryton britannique Dominic Sedgwick. Complice, stimulant et machiavélique, il pousse son père à cette curieuse métamorphose pour parvenir à ses fins.

Les rôles de Pan – amoureux de Diane et rival d’Endymion – et de ses deux acolytes, Sylvain et le Petit Satyre, sont tenus respectivement par le ténor américain David Portillo, la basse bolivienne José Coca loza et le contre-ténor français Théo Imart. On retiendra en particulier le très beau timbre de Théo Imart et sa voix puissante et lumineuse, un brin métallique, qui fait merveille dans le rôle du Petit Satyre.

Enfin l’interprétation musicale de Sébastien Daucé qui déploie dans la fosse son Ensemble Correspondances avec un effectif important de trente-trois musiciens est remarquable, raffinée et éclatante à l’instar des images que nous offre la scène. Il restitue toute la richesse, les couleurs et le relief de cette partition de Francesco Cavalli et cette beauté inimitable du baroque vénitien.

Cette fable mythologique, très humaine et qui s’adresse directement à nous et à notre époque, est sans doute une heureuse découverte pour la grande majorité du public qui lui réserve une immense ovation. On se laissera désormais rêver à Calisto et à ces belles images en levant la tête vers les étoiles.

Jean-Louis Blanc

Photos Festival d’Aix en Provence

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