FESTIVAL D’AVIGNON. « LA LETTRE », THÉÂTRE DE TRÉTEAUX, AU PLUS PROCHE DU PUBLIC

79e FESTIVAL D’AVIGNON. « LA LETTRE » – Texte et mise scène : Milo Rau – Spectacle en itinérance (jours et heures suivant les lieux).
Comme chaque année, le Festival d’Avignon programme un spectacle en itinérance qui déambule dans la proche région d’Avignon dans les lieux les plus divers : salles des fêtes, cours de châteaux, site archéologique, arènes, etc.
Ces spectacles, inspirés du théâtre de tréteaux, sont destinés à produire un théâtre populaire et à aller à la rencontre du public, d’un public parfois peu concerné par le théâtre. Ils nécessitent une structure légère, peu de décors, une grande mobilité et une bonne adaptabilité. C’est suivant ces principes que Milo Rau, un habitué de Festival, propose cette année « La Lettre », une réflexion originale et légère sur l’acteur et l’Art théâtral.
Sur le plateau une table, des chaises, trois drapeaux – bleu, blanc et rouge – et un escalier pour aller à la rencontre du public. Deux acteurs se présentent à nous, le blond et longiligne Arne de Tremerie, et la brune Olga Mouak.
Lui est flamand, il nous parle avec émotion de sa grand’mère, star de la radio flamande et fan de Tchékhov, prénommée Nina, qui a rêvé toute sa vie d’incarner ce rôle dans « La Mouette ». C’est grâce à elle qu’il est devenu acteur et c’est sans doute à cette grand’mère omniprésente qu’il doit son obsession de mettre en scène cette pièce de Tchékhov.
Elle, française d’origine camerounaise et réunionnaise née à Orléans, est une admiratrice de Jeanne d’Arc qu’elle rêve d’interpréter sur scène, sans doute parce que née à Orléans mais peut-être aussi, inconsciemment, du fait que sa grand’mère, schizophrène, est morte brûlée vive par accident au Cameroun.
Arne et Olga se sont rencontrés à l’occasion d’une audition de « La Mouette », à laquelle ils ont été refusés, lui se sent une âme de Constantin et elle de Nina. Ils nous proposent ce soir de monter une mise en scène de cette pièce avec la participation de spectateurs. On désigne ainsi dans le public un médecin, un alcoolique et un professeur.
On assiste alors à quelques scènes, Arne incarne un Constantin écorché, Olga une Nina émouvante. On commence à se laisser embarquer par le drame mais on n’est pas vraiment au théâtre et l’on passe à autre chose. La fiction n’est qu’un élément du réel. Les deux acteurs évoquent des histoires de famille qui leur tiennent à cœur, qui les ont façonnés, s’adressent au public. Le présent se mêle au passé. On fait revivre la grand’mère d’Arne par l’intelligence artificielle. Olga, préoccupée par le fait que sa mère ne s’intéresse pas à son activité d’actrice, l’appelle pour aborder ce sujet délicat. C’était un malentendu, sa mère suit de très près son travail mais ne veut pas assister à ses spectacles par peur de la troubler. Le public participe à la conversation et l’on se sent de plus en plus proche de ces deux acteurs qui jouent des rôles mais qui jouent aussi leurs propres vies devant nous.
Enfin on revient au théâtre dans le théâtre. Olga interprète avec beaucoup d’émotions des scènes de la vie de Jeanne d’Arc, la Révélation et le Procès.
Puis la réalité et la fiction se confondent, comme dans une conversation à bâtons rompus avec le public on aborde les sujets les plus divers, intimes, artistiques, politiques. L’acteur et la personne se confondent.
Le spectacle se déroule avec fluidité et l’on passe aisément du coq à l’âne, comme dans une conversation intime avec les deux protagonistes qui font preuve d’une grande spontanéité et attirent l’empathie. Avec beaucoup de finesse l’humour est constamment présent.
Milo Rau produit là un spectacle attachant, une réflexion sur l’Art théâtral, les rapports entre le réel et la fiction, entre l’homme et l’acteur. Un spectacle proche du public, au sens propre et au sens figuré, qui lui réserve ce soir-là le meilleur accueil.
Jean-Louis Blanc

Photos C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















