FESTIVAL D’AVIGNON. AU JARDIN DE MONS, DES « PERSES » QUI NE PERCENT GUÈRE

79e FESTIVAL D’AVIGNON. « Démonter les remparts pour finir le pont – Les Perses » – Spectacle de Gwenaël Morin – Maison Jean Vilar – Jardin de la rue de Mons – du 9 au 25 juillet (relâche les 10, 14 et 21 juillet) – Durée : 1h15.

Gwenaël Morin revient dans ce magnifique lieu de théâtre qu’est le Jardin de la rue de Mons pour le troisième opus du cycle « Démonter les remparts pour finir le pont » qui est censé créer des petites pièces avec peu de moyens, mettant en avant le seul acte théâtral. Des pièces en principe en rapport avec la langue invitée, ce qui n’est pas le cas cette année dans la mesure où la pièce choisie pour finir le pont, « Les Perses » d’Eschyle, est une pièce présentée aux athéniens en 472 av. J-C, sans doute l’une des plus anciennes pièces de théâtre connue et écrite naturellement en grec ancien. Peu importe la langue d’origine, il est toujours émouvant de revenir aux sources du théâtre et de notre culture et de retrouver toute la force des tragédies grecques.

Cette pièce est une évocation de la détresse des Perses après la bataille navale de Salamine (480 av. J-C) qui vit leur défaite face aux cités grecques coalisées. C’est en fait une pièce d’actualité écrite seulement huit ans après l’évènement qui s’adresse curieusement aux vainqueurs pour décrire la douleur des vaincus. Une pièce pleine de compassion qui oublie le patriotisme pour rappeler l’universalité des malheurs de la guerre et sans doute la nécessité de reconstruire un monde de paix.

La pièce est interprétée par quatre acteurs issus de l’atelier libre mené à Avignon depuis 2023 par Gwenaël Morin. Deux femmes et deux hommes qui forment un chœur accompagné d’un tambourin et d’une flûte à bec. La veuve de Darius et mère de Xerxès se lamente, elle a vu dans un songe un aigle attaqué par un faucon qui lui a broyé la tête. Bientôt un messager arrive pour relater la terrible défaite de l’armée perse. La veuve va alors invoquer l’âme de Darius sur sa tombe. Le roi défunt s’en prend violemment à son fils pour avoir causé le malheur des Perses par son orgueil et son imprudence. Enfin apparait Xerxès qui, comme pris de folie, laisse éclater sa douleur et son désespoir.

On apprend au milieu du spectacle qu’une partie du texte d’Eschyle a été perdue et que l’on reprend l’action plus loin. Peu importe, le texte restant garde son unité et possède toute la puissance dramatique des tragédies grecques.

Il y a quelques moments forts dans la mise en scène de Gwenaël Morin comme cette scène remarquablement interprétée dans laquelle le roi défunt exprime sa colère et son ressentiment tout en transmettant aux vivants des conseils pleins de sagesse. On retiendra également le désespoir de Xerxès, hagard, le corps désarticulé tel un pantin, hurlant sa douleur mais malheureusement totalement inaudible.

A part ces quelques moments dans lesquels on ressent tout le tragique de la pièce, on n’entre pas vraiment dans le sujet. La diction est souvent imprécise. Les acteurs semblent livrés à eux-mêmes et, malgré leur motivation, ne parviennent pas à trouver le souffle de la tragédie.

La mise en scène mise tout sur l’expression théâtrale des acteurs et l’on reste sur sa faim. Le décor est volontairement sobre et se limite à deux cercles tracés sur le sol et imbriqués l’un dans l’autre dont on cherche le sens. Lors d’une libation dans laquelle on offre aux dieux du lait et de l’eau miellée on a le bon goût d’amener sur scène une brique de lait en carton, une bouteille en plastique et un flacon de miel venant de l’épicerie du coin. Évidemment plus rien ne choque mais quelle est cette volonté de tout déconstruire ? de s’assoir sur l’aspect poétique du texte ? Est-ce pour être dans l’air du temps ou pour nous faire comprendre que le propos d’Eschyle est contemporain ? Assurément il l’est et on n’avait pas besoin de ça pour nous le faire comprendre.

Ce troisième opus de Gwenaël Morin, malgré quelques bons moments, est une déception d’autant plus grande que le « Quichotte » de l’an dernier, monté suivant les mêmes principes et avec la même économie de moyens, nous avait séduits. Il est vrai que l’immense talent de Jeanne Balibar n’y était pas pour rien.

Jean-Louis Blanc

Photos C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

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