FESTIVAL D’AVIGNON. « VIVE LE SUJET ! » : UNE TRES BONNE SERIE 3

79e FESTIVAL D’AVIGNON. « VIVE LE SUJET ! Tentatives » #3 – Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph – du 23 au 26/07/25 : « Logbook » de Solène Watcher / « Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre » de Suzanne de Baecque.

C’est quand arrive la troisième livraison des tentatives commandées par la SACD et le Festival qu’on sent que celui-ci arrive à son terme ; plus que quatre jours pour apprécier les spectacles invités par Tiago Rodrigues, son équipe et notamment ces deux petits bijoux, fruits du hasard et du labeur de gens qui ne se connaissaient pas plus que ça…

Chiisme.

Bryana Fritz et Solène Wachter font leur entrée toutes les deux côté jardin du plateau. Solène Wachter, élève de P.A.R.T.S (décidément, c’est un trust dans ce festival !) est très à l’honneur puisque, non contente d’être le regard extérieur de Némo Fleuret sur le grandiose Derniers Feux présenté ces jours-ci dans la cour du lycée St Joseph, elle a dansé dans Nexus de l’adoration de Joris Lacoste, autre pépite de ce festival.

De quoi est-il question dans ce Logbook ? Solène et Bryana sont parties du terroir. Elle chante d’ailleurs l’hymne provençal Coupo Santo. Elles remontent à l’origine de la notoriété de cette ville : les papes. Elles évoquent le chiisme entre le pape de Rome et celui d’Avignon… A cette époque, au 13ème siècle après JC, il est interdit de chanter plusieurs mélodies en même temps, pour la bonne et simple raison que l’Église trouve que cela risquerait de distraire les fidèles, puisque ce qui compte pour le clergé, c’est que le croyant ne se détourne pas de la prière… Or, il est arrivé au premier Pape d’Avignon d’entendre les chants polyphoniques provençaux, très répandus dans la région mais aussi dans tout le bassin méditerranéen. Les papes d’Avignon finirent par céder et à faire entrer la polyphonie dans leurs églises. Et c’est que tentent les deux artistes dans ce spectacle : faire cohabiter Purcell et Prince, Joan Baez et Dalida, Frank Ocean et Haendel, le tout en déployant une danse puissante qui résiste à peine au petit plateau du Jardin de la Vierge.

C’est donc une proposition passionnante, menée tambour battant. Les deux artistes chantent aussi bien qu’elles dansent. Les costumes faits de transparence et d’écritures sont parfaits. Les TN roses ou bleus sont sans doute pour beaucoup dans le rebond dont les deux danseuses font preuve dans cette demi-heure qu’elles ont rendue passionnante…

Le pas de côté.

Pourquoi Hervé Vilard : parce que VILARD est une figure « emblématique » d’Avignon, évidemment…

C’est la clé de la proposition hilarante, intelligente, puissante et touchante que fait Suzanne De Baecque avec Hervé Vilard, celui de Capri, c’est fini.

Dans ce pas de côté qu’elle décrit, sans fausse pudeur, au début du spectacle, lisant ses fiches et avouant son but : provoquer une rencontre improbable avec un/une artiste qui démontre le faussé entre eux deux, l’écart d’âge, de milieu mais aussi de genre ou bien au contraire montrer les points communs dans le travail…

Mais Hervé Vilard, vedette qui a écrit , comme Rimbaud, son chef-d’œuvre à 17 ans n’en croit pas un mot. Il débusque la comédienne initiatrice en lui posant des questions franches et qui obligent Suzanne de Baecque à justifier son choix. « Vous me faites penser à d’autres ». « J’ai des comptes à régler avec mon père, avec mes profs de théâtre, avec ces hommes jouisseurs, lubriques, misogynes, despotes ». Hervé Vilard, philosophe, roublard avec sa chevelure blanche et son embonpoint, ne se laisse pas faire. « Personne ne m’a aimé depuis le début ». Il est orphelin. J’ai été « des-aimé » depuis le début, dit-il. Mais Suzanne De Baecque, quelque peu jalouse et moqueuse, ne lâche pas son complice. « La gloire, ça n’existe pas, c’est dans les yeux des autres » lui rétorque Vilard. Elle l’interroge sur sa sexualité, « aimer, c’est la providence » lui dit-il, vieux sage chanteur qu’il est.

On tente de lui donner des rudiments de jeu et Zakary Bairi, qui complète le duo, se lance dans des exercices qui vont jusqu’au changement de personnalités, Suzanne devenant Hervé. Une histoire rocambolesque montre les limites de la conversion de chanteur à acteur. Vilard a bien fait de ne pas le tenter. Et dans cette « écriture en direct » le « climax » n’est pas le bon. « L’apogée émotionnelle de l’histoire » ne suit pas. « Tu te prends pour qui Hervé ? ». Telle est la question qui se pose.

Comme dans le autres spectacles (Tenir debout, notamment), Suzanne De Baecque est fine et subtile. Elle se maltraite autant qu’elle taquine son sujet qu’elle met à vif, car « sous la chemise, il y a la peau ».

Et comme le disait Charles Trenet, en France, tout finit par des chansons, même cette tentative où l’on voit entonner un tube d’Hervé Vilard dont deux dames assises au premier rang fredonnent l’air… c’est de leur génération. Une chorale qui n’était pas prévue dans le « protocole performatif » de la comédienne à l’origine de cette idée… émouvant.

Emmanuel Serafini

Image : Vive le sujet ! Tentatives, Série 3 – Logbook, Solène Wachter et Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre, Suzanne de Baecque, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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