VENISE : DEUX EXPOSITIONS AU PALAZZO GRASSI ET PUNTA DELLA DOGANA

Venise, envoyé spécial

VENISE, DEUX EXPOSITIONS A LA COLLECTION PINAULT. Tatiana Trouvé : « La vie étrange des choses » Palazzo Grassi  06/04/25 – 04/01/26 / Thomas Schütte : « Généalogies » – Punta dellla Dogana 06/04 – 23/11/25.

D’une rive à l’autre.

Bien sûr, à Venise, il y a les Biennales et c’est par exemple la 19è biennale d’architecture dirigée cette année par Carlo Ratti qui oppose ou met en complémentarité l’écologie et la technologie au point où l’on ne sait pas/plus bien qui du bois brut et de la robotique gagnera dans l’avenir… Mais il y a deux lieux qui sont aussi à visiter, l’un est dans le célèbre Palazzo Grassi et l’autre à la Punta delle Dogana, les deux abritant la collection de François Pinault.

Dans le premier, on a fait la place belle aux œuvres de Tatiana Trouvé, une artiste franco- italienne au trajet passionnant. Grandie à Dakar, au Sénégal, élève de la Villa Arson à Nice et des Ateliers aux Pays-Bas, son travail mêle dessins, sculptures et installations… On la remarque en 1997, où elle développe le Bureau d’Activités Implicites (B.A.I.), des modules réalisés à partir d’expériences personnelles qui lui permettent de développer des récits fragmentés de ses propres expériences. On retient de ses sculptures qu’elles sont le résultat de moulage venant de sièges, sacs, d’objets ou d’espaces spécifiques qu’elle revisite… On y croise du bronze, du cuivre, du verre, de la pierre et même du marbre… avec l’envie de tromper son monde, mêlant l’un avec l’autre au point qu’on ne sache plus quelle matière on observe… Dès 2000, elle a créé les Polders, une série de sculptures monumentales. En 2013, elle créera The Guardian où elle utilise des chaises vides pour à la fois rassurer et inquiéter… Mais elle se distingue aussi par ses dessins, notamment des grands formats faits de superposition d’images, de souvenirs qu’elle assemble. C’est le cas avec Intranquillité [1], Remanence [2] ou Les dessouvenus  [3] où la mémoire semble au cœur de sa recherche. Signalons qu’en 2007, elle reçoit le prestigieux prix Marcel Duchamp.

Non contente d’être exposée dans un magnifique palais vénitien dont l’architecture est impressionnante, l’installation de la pièce monumentale d’asphalte Hors-sol [4] marque de suite les esprits et plonge le visiteur dans un état entre l’envie de découvrir chaque incrustation d’objets et de prendre du recul pour ne pas se laisser troubler… C’est une mise en condition parfaite pour monter dans les étages…

Il faut néanmoins passer un bon moment devant la vidéo présentant l’artiste à l’entre sol et ensuite monter au premier étage pour admirer Notes on sculpture « qui combinent différents objets de l’atelier » de Tatiana Trouvé une série qui reprend les noms des personnes ou d’un moment qui a occupé ses pensées lors de la réalisation. On y trouve des moulages en bronze ou en aluminium qu’elle peint. L’effet comique de cette chaise en plastique sur laquelle est posé un gros livre de marbre où l’on voit des figurines sculptées d’un homme et d’un lézard fait penser aux sièges des gardiens du musée… Les panneaux de plâtre, sorte de paravents, séparent une pièce et font face à un banc supporté par des blocs de pierres dont l’assise est recouverte de tissus. Au même étage, on trouve la série The residents où les cordages et tubes de métal font penser à des embarcations de fortune. Seuls les socles avec des bassines de fer nous clouent sur la terre ferme. Tatiana Trouvé aime donc jouer avec la perspective. Cette petite porte entre-ouverte donnant sur le couloir à côté d’une poubelle de bureau permet de se mettre à hauteur d’enfant comme une réminiscence de notre propre jeunesse. Les souliers coincés sous une plaque de verre, chaque chaussure de part et d’autre, créant un trouble de la vision, mais sans malaise, c’est surtout drôle, presque surréaliste… Le quotidien et la littérature sont dans l’œuvre de Tatiana Trouvé avec ces portants et porte-manteaux en marbre, ce sol d’aluminium avec ces météorites au milieu, une métaphore des guerres et de ces images avec des habitats éventrés…

Penchez-vous au balcon du second étage et contemplez de nouveau Hors-Sol avant de découvrir la série Les dessouvenus, titre tiré d’un mot breton qui désigne les gens qui perdent la mémoire. Matériaux de base détournés, rideaux de chanvre peints, dessin aux crayons… autant de pièces qui traduisent la préoccupation de l’artiste pour la destruction du monde par l’Homme. C’est fulgurant, prodigieux. Il y a des champs et des contrechamps qui font douter de la réalité de notre perception. Il ne faut pas manquer le laboratoire, sorte de cabinet de curiosités où Tatiana Trouvé expose tout son attirail, toute sa grammaire d’objets. C’est non seulement sublime, mais très émouvant…

Thomas Schütte à Punta della Dogana

En vérité, nous n’allions pas de gaité de cœur après cette immersion dans l’univers de Trouvé à la Punta della Dogana pour découvrir les sculptures de l’Allemand Thomas Schütte, mais la magie a opéré et la variété des pièces exposées y est pour beaucoup.

Thomas Schütte a fait l’académie des Beaux-arts de Düsseldorf (1973) où il est l’élève de Gérard Richter notamment. Il commence à exposer à partir de 1979. En 1985, il réalise par exemple Tisch, un mémorial en souvenir de membres de la résistance allemande exécutés par les Nazis  en 1944 à Hambourg. Il est remarqué en 1990 grâce à ses figures doubles aux visages tourmentés ou à des versions monumentales de miniatures qu’il a réalisées en pâte à modeler et en tissu… Il est l’auteur d’une œuvre protéiforme où se croisent maquettes, gravures, sculptures, lithographies, céramiques, ce qui explique le plaisir de voir toute cette richesse à Venise.

Dès l’entrée, les installations de Man im wind II placées au milieu de l’espace avec, tout autour, les dessins de Thomas Schütte impressionnent et font penser aux Bourgeois de Calais de Rodin, mais en pièces détachées. La force dans le mouvement, la marque de l’effort dans le visage… tout est à détailler… Ces sirènes argentées aux visages sublimes posées sur des tables, cette tête couleur jade (Grosse Frauenkopf) au regard paisible posée sur un socle, ces dessins en hommage à Marcel Duchamp, ces personnages géants hybrides, sorte de nouvelle race d’humains sortis de films de science-fiction (Drei Ganz Grosse Geister, ou Efficiency Man), les lithos de Ella Fitzgerald en quadrichromie à la façon de Warhol ou cette fontaine tête verte en bronze métaphore des femmes pleurantes autant de moments à savourer. A l’abri des douaniers de Venise.

Emmanuel Serafini,
Envoyé spécial à Venise

[1] 2005
[2] 2008
[3] 2013
[4] 2005

Images: 1,2, 3 – Tatiana Trouvé : The Strange Life of Things, 2025, vues de l’exposition, Palazzo Grassi, Venise ©Palazzo Grassi, Pinault Collection 2025 – Photo Marci Cappelletti Studio / 4 & 5 – Thomas Schütte : « Généalogies »,  vues de l’exposition à Punta della Dogana, Venise 2025 – Photos Matteo De Fina – Copyright Punta della Dogana, Pinault Collection 2025.

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Opéra Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives