LE « FALSTAFF » DE LAURENT PELLY ENFLAMME LA MONNAIE

FALSTAFF de Giuseppe Verdi (création Teatro alla Scala, Milano 9.2.1893) – Comédie lyrique en trois actes – Livret de Arrigo Boito – Musique de Giuseppe Verdi – mise en scène, costumes et régie : Laurent Pelly – direction musicale : Alain Altinoglu (et Ouri Bronchti(*) – scénographie Barbara de Limburg – Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie – avec dans le rôle de Sir John Falstaff : Sir Simon Keenlyside (baryton britannique) (*). Au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles jusqu’au 9 octobre 2025.

Falstaff, opéra-bouffe en trois actes : « Drame sur l’hypocrisie et la bêtise humaine ».

Qui n’a jamais entendu parler de Sir John Falstaff, l’un des personnages les plus comiques et fascinants créé par William Shakespeare ? Il apparait dans deux de ses pièces : Henry IV (I et II) et « Les Joyeuses Commères de Windsor ». Shakespeare le décrit comme un gentilhomme un peu bouffon faisant partie d’un groupe de voleurs. Il aime les femmes, manger à l’excès, s’adonne à la boisson, est menteur et d’un égo surdimensionné, mais doté d’un esprit vif et intelligent ce qui l’amène à toujours à se sortir de situations terriblement délicates.

Après plusieurs opéras à son actif, le compositeur romantique italien Giuseppe Verdi souhaite écrire une œuvre légère. Il songe à plusieurs personnages dont celui de Don Quichotte de Cervantes ou encore pense à Labiche, Molière ou Goldoni, mais ce n’est pas vraiment ce qu’il recherche. Il confie donc son désir au compositeur, romancier et poète italien Arrigo Boito. Ce dernier va travailler en secret sur un livret. Tout comme Verdi il est fasciné par Shakespeare, et adore les « Commères de Windsor ». C’est à partir de là que Boito va « ressortir » le personnage de Falstaff en simplifiant l’intrigue et en diminuant de moitié le nombre des personnages, donnant une « ampleur » au personnage de Falstaff. Verdi reçoit le livret et est enchanté ! C’est le triomphe, les spectateurs adorent !

« Le livret de Boito est d’une très grande qualité, au point que l’on pourrait même imaginer la jouer sans la musique de Verdi et entendre un texte passionnant, digne d’une véritable pièce de théâtre » souligne le metteur en scène et costumier français, Laurent Pelly. Et l’on ne peut qu’être d’accord avec lui. « Falstaff est probablement la plus belle adaptation de Shakespeare à l’opéra » poursuit Pelly, fasciné par le travail formidable qu’a réalisé Boito sur le personnage principal.

« Toute l’humanité, avec ses défauts et ses qualités, est représentée sous les traits de Falstaff »

Pour sa première représentation de la saison 2025-2026 , le Théâtre de la Monnaie propose « Falstaff ». Une production antérieure créée en 2018-2019 provenant du Teatro Real de Madrid (coproduction internationale), initialement prévue à Bruxelles en 2020, mais reportée pour cause de pandémie. L’excellente mise en scène est confiée à Laurent Pelly, un habitué de la Monnaie (la sixième, après Don Quichotte, Cendrillon, le Coq d’Or, Don Pasquale et Eugène Onéguine). Particulièrement apprécié (entre autres) pour son habilité à utiliser l’espace et la scène. Les costumes sont d’ailleurs créés par lui-même, ce qui lui permet de mieux imaginer physiquement les personnages et ainsi entrer dans leurs têtes, confie l’artiste à Sébastien Herbecq. Il en fait des personnages contemporains d’un passé plus proche. Ainsi les femmes sont en tailleurs couleurs pastel rappelant les années 1950. Quant à Falstaff il apparait comme un homme énorme, tout en rondeur, baladant sa bedaine avec une fierté non feinte, mi-clochard, mi poète avec une drôle de démarche. Pelly, avec son sens du comique, le perçoit comme « une espèce de globe portant l’humanité, avec ses défauts et ses qualités ».

Incroyables décors et scénographie de Barbara de Limburg. Les décors s’élargissent et se rétrécissent en fonction des dialogues (faisant penser aux films du cinéma muet), particulièrement celui de Falstaff : une « opposition entre le monde de ce personnage et celui de la bourgeoisie » précise Pelly. Le public se retrouve face à un petit café tapissé de bouteilles d’alcool d’où l’on aperçoit au loin les fenêtres de la ville, pour se retrouver ensuite dans la maison du riche Mr. Ford, avec des escaliers aux fonctions multiples ne menant nulle part. Et puis la forêt et ses mystères de fées et de sorcières.

La distribution a pratiquement changé par rapport à celle de Madrid précise le musicologue Charles-Henry Boland dans son introduction avant le spectacle. On retrouve dans le rôle de Falstaff, le baryton britannique Sir Simon Keenlyside (brillant), le baryton belge Lionel Lhote dans celui de Ford (remarquable), son épouse Alice par Sally Matthews (lumineuse) ou encore la contralto italienne Daniela Barcellona en Miss Quickly (très drôle), le ténor ukrainien Bogdan Volkov est l’amoureux Fenton et sa belle Nanetta jouée par Benedetta Torre.

« Falstaff une partition totalement jubilatoire pour un chef d’orchestre ». Alain Altinoglu

Verdi est le compositeur qu’Alain Altinoglu a le plus joué, confie ce dernier à Sébastien Herbecq. Falstaff est l’un de ses préférés. Pour ce talentueux Maestro (nommé dans la catégorie « Best Conductor » aux International Opera Awards 2025), l’écriture de Verdi est un mélange analytique et sensuel avec toutes les difficultés qu’on peut y rencontrer, notamment « celles liées à l’accompagnement des chanteurs, au rubato, au maintien du tempo ». Admiratif du compositeur célèbre, Altinoglu apprécie particulièrement l’aspect comique, la richesse du « sous-texte » musical, les traits comiques de la partition, qu’il souligne ne pas toujours être perçus par le public ou la partition regorgeant de « blagues » d’orchestration qu’il avoue n’être uniquement perceptibles que pour les musiciens.

Et si telle chose est véridique, cela n’empêche pas le public (ou le commun des mortels) d’apprécier la direction de cet orchestre enthousiaste et son sens du comique certain, ainsi que la magnifique prestation des musiciens et musiciennes. Les spectateurs s’amusent au fil de l’histoire, appréciant l’évolution des comédiens-chanteurs sur scène. Juste magnifique.

« Tout dans le monde est une farce ». Falstaff

L’action se déroule à Windsor. Sir John Falstaff déguste son vin dans un bar de la ville en compagnie de ses deux acolytes, Bardolfo et Pistola. Mais voilà que surgit le docteur Cajus. Il est terriblement en colère et accuse le trio de méfaits survenus la veille, alors qu’il était en état d’ébriété. Falstaff ne dément pas vraiment en être l’auteur, mais les deux autres nient avoir dérobé l’argent et surtout avoir profité de la situation. Cajus est furieux et jure par tous les dieux qu’on ne l’y prendra plus. Tant qu’à s’enivrer, mieux vaut, à l’avenir s’entourer d’honnête gens ! Le malheureux quitte les lieux.

Et si Falstaff de son rire tonitruant se moque de la situation, il n’en est pas moins inquiet de l’état de ses finances. C’est alors qu’il partage une idée lumineuse avec les deux compères. Son plan ? renflouer sa caisse auprès de riches bourgeoises mariées, Mrs Alice Ford et Mrs Meg Page. Il rédige deux lettres enflammées identiques (pourquoi se compliquer la vie ?). Il ne change que les noms et les adresses et charge Bardolfo et Pistola de les leur porter. Ces derniers refusent, invoquant l’honneur, rendant fou de rage Falstaff : « Et vous, avec vos hardes, votre regard oblique de guépard et vos ricanements fétides, vous vous retranchez sur votre honneur ! quel honneur ?! »

Qu’à cela ne tienne, il envoie son page. Il n’est pas question de renoncer à « ses greniers d’abondance ». Un tantinet sur le retour, fier de son énorme bedaine, un peu vantard, certes, un soupçon mythomane mais sensible et poétique à la fois, l’homme à l’esprit vif est convaincu d’être un irrésistible séducteur, pour sûr, ces dames vont lui tomber dans les bras. Mais au fond, qu’est-ce vraiment l’honneur, se demande Falstaff ?

« Cette outre ! Cette cuve ! Ce roi des ventres nous montre encore un caquet de beau gandin. L’huile dégouline de sa graisse, et encore il égrène la strophe et le calembour’ » : Loin d’être naïves, Alice Ford et Meg Page, aidées de Mrs Quickly et de Nannetta (la fille des Ford), vont tendre un piège à Sir Falstaff au même moment où M. Ford, informé de l’intention de ce dernier, va lui-même avec un groupe d’hommes, se venger : « Ah ! Les cornes ! Les cornes ! Mais tu ne m’échapperas pas ! (…) Damné épicurien ! D’abord je les accouple et puis je les rattrape. J’explose ! Je vengerai l’affront ! (…) ». Tout se trame dans la plus grande discrétion… ce qui promet d’être compliqué. Et l’amitié dans tout cela ? Quel sera le rôle de Bardolfo et Pistola dans cette histoire ? Et qui est ce mystérieux Maestro Fontana qui rend visite à Sir Falstaff ?

Entre quiproquo, les amours secrets de Nannetta et Fenton, la conspiration des dames et la jalousie de M. Ford, que va-t-il advenir de Sir John Falstaff, loin d’être au bout de ses surprises ?

Falstaff : Un opéra-comique réjouissant, tragique et à la fois burlesque, au rythme effréné, une histoire de « défauts et de qualité ». N’est-ce pas là le propre de l’humanité ?

Longue ovation du public pour ce spectacle. Au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles jusqu’au 9 octobre 2025. J’y vais !

Julia Garlito Y Romo

Vivement recommandé : Une introduction au spectacle se tient 45 minutes avant le début de la séance en français et en néerlandais. Pour la version française c’est le musicologue, arrangeur musical et coach vocal (entre autres) Charles-Henry Boland qui s’en charge. Une présentation instructive et amusante et un talent de comédien digne de ce nom.

Directeur musical: Alain Altinoglu (en alternance avec Ouri Bronchti les 24 et 26 septembre) Orchestre symphonique & chœurs : La Monnaie Symphony – mise en scène & costumes : Laurent Pelly – scénographie: Barbara De Limburg – éclairages : Joël Adam – Chef des chœurs : Emmanuel Trenque.

(**)DISTRIBUTION: Falstaff : Simon Keenlyside (barython britannique) ; Ford : Lionel Lhote (barython belge); Mrs. Alice Ford: Sally Matthews (soprano) ; Fenton : Bogdan Volkov (ténor) ; Dr Cajus : John Graham-Hall ; Bardolfo : Mikeldi Atxalandabaso ; Pistola : Patrick Bolleire ; Nannetta : Benedetta Torre ; Mrs Quickly : Daniela Barcellona (contralto) ; Meg Page : Marvic Monreal.

Photos © Clarchen Baus / La Monnaie Bruxelles

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Opéra Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives