« MONARQUES », UN TERRIBLE PÉRIPLE MIGRATOIRE À BORD DE LA « BÊTE »

MONARQUES – Texte d’Emmanuel Meirieu et Jean-Erns Marie-Louise, avec la complicité de Julien Chavrial et Odille Lauria – Mise en scène Emmanuel Meirieu – Le 21 novembre 2025 au Vallon, Landivisiau – Durée 1h25.

On dit que les monarques portent l’âme des morts.

Papillons emblématiques de l’Amérique du Nord, les monarques migrent chaque hiver par millions. Du Canada vers les forêts sacrées de résineux du Mexique où ils arrivent le jour de la fête des morts. Chaque printemps, chemin inverse. Des milliers de kilomètres. Périple des plus extraordinaires. Terriblement dangereux. L’espèce est en péril.

Parapentiste, Benjamin Jordan alerte sur leur disparition. Comme eux, avec eux, il a volé. Suivi leur migration.

On dit que les monarques portent l’âme des morts.

Au Mexique des centaines de migrants veulent atteindre et passer la frontière américaine. Des milliers de kilomètres du sud au nord. Périple terriblement dangereux à bord de « La Bestia ». La bête. Le train des mutilés et de la mort.

On dit que les monarques portent l’âme des morts.

Emmanuel Meirieu croit « en la puissance, la densité, la complexité du réel… » avec nous il veut partager l’histoire des « martyrs, des oubliés, des fracassés, ceux que la Grande Histoire comme l’actualité effacent. » Avec « Monarques » il croise ces deux odyssées.

Tout commence par ce rideau de scène peint à l’ancienne façon fête foraine. Deux squelettes ailés en papillons semblent y danser. Fête des morts au Mexique sans doute. Et débute la projection d’un film « super 8 ». Un peu fané, un peu décoloré qui nous dit tout cela. Les monarques, la migration, le vol du parapentiste. Et déjà la mort. 1985 une jeune fille insouciante couvertes de papillons. « On a tous en nous un paysage ».

Tombée de rideau. Surgit la bête. Vraie. Brutale. Gigantesque. Émouvante. La Bestia. Tueuse et dévorante. Surmontée de pantins corps immobiles animés de ces vies improbables et si fragiles. Emily Barbelin les a imaginés avec semble-t-il une belle tendresse. Oui, nous sommes bien au théâtre. Scénographie co-signée Meirieu et Seymour Laval, impressionnante du train grandeur nature. AOKX410358. Reproduction fidèle. Salut admiratif aux constructeurs « magnifiques » des ateliers du Théâtre du Nord.

Jean d’Haïti, émouvant et sincère Jean-Erns Marie-Louise, se trimballe avec Santiago et sa prothèse. Deux estropiés en quête d’un peu d’eau. En quête surtout d’un autre monde. D’un frère pour Jean. L’acteur et la marionnette. Le migrant et sa souffrance. L’homme et son espérance. À Dieu une prière improbable. « Protège nous ! ». Seront-ils entendus ? Le récit semble construit de bouts de vie. De lambeaux. Des fragments d’existence qu’il faudrait réparer comme on répare les ailes des monarques. Des parcelles d’intime rassemblées au hasard de la route. Deux bouts de branches pour construire un abris. Là-haut sur le wagon. Les appels de Jean à sa mère. Ce téléphone qui brille comme un minuscule phare dérisoire. Alors on se dit que l’immense décor n’est pas trop grand pour abriter ce récit-là. Et qu’il fallait ce gigantisme pour nous dire toute la fragilité de ces voyageurs forcés. Forçats de leur exil.

Un récit fait de résurgences sauvées d’un trop long et terrible voyage. Nous sommes bien au théâtre et le train que l’on voudrait voir enfin rouler comme une libération vers un espoir, même vain, de liberté jamais ne roulera. La lumière a beau faire. Le son gronder. La bête avance immobile et ne rugit pas. Comme si tout à coup elle avait décidé de protéger un moment ces migrants qu’elle jette au désastre, à la blessure et à la mort en cours de route. Tout est factice et porteur de tant de vérité. Noblesse de cette femme enceinte qui supplie son bébé de « ne pas sortir… ici il n’y a que la mort, la faim. ». Elle qui grimpe sur le toit du train comme on atteint le toit du monde. Échelle de ferraille, échelle de Jacob. Image d’une divinité, déesse soudain dressée ventre en avant qui « a mangé la terre du jardin, les mangues épicées ».

Odille Lauria, si grande dans son exil. Et Jean qui « déguise » le train, habille ses passagers d’ailes de monarques en carton peint. Elles aussi dérisoires et pourtant somptueuses dans ce décor fignolé de réalisme. Presque une enfance naïve et fragile. Oui, un battement d’aile. Vivre. Au delà de la souffrance, de la misère et de ce grand fracas. Celui du train. Celui du monde. Et peut-être est-ce toute cette musique, cette aventure sonore composée par Félix Muhlenbach qui accompagne le spectacle de bout en bout qui nous en donne ce grand mouvement.

Vivre et voler avec eux, les monarques. Et débarquer enfin dans cette fête des morts. Joyeuse. Débridée. Religieuse et païenne à la fois. « Dia de Muertos » abolissant la frontière entre les vivants et les morts.

C’est là, en fin de parcours que se croisent les chemins de Jean et du parapentiste aux papillons, fraternel Julien Chavrial. Une fraternité de migration. Une fraternité de destins croisés. Une fraternité de vie et de liberté. Parfois même au prix de la mort. Une fraternité pour un envol de vie. Un bref silence.

On dit que les monarques portent l’âme des morts.

Arthur Lefebvre

Distribution : avec Julien Chavrial, Odile Lauria, Jean-Erns Marie-Louise – Décor Seymour Laval et Emmanuel Meirieu – Sculptures, marionnettes, mannequins, et accessoires Emily Barbelin – Son et musique Félix Muhlenbach – Costumes Moïra Douguet – Lumière Seymour Laval – Construction décor Atelier du Théâtre du Nord – Régie plateau Camille Lissarre – Renfort régie Jérémie Angouillant – Administratrice de production Claire Brasse

En tournée :
16 au 18 janvier 2026, puis les 20 et 21 janvier 2026 – Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National
29 et 30 janvier 2026 – MC2: Grenoble

Photos Christophe Raynaud De Lage

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