« MUSÉE DURAS » : UNE IMMERSION HALLUCINANTE DANS L’OEUVRE DE L’ÉCRIVAINE

Musée Duras – mise en scène Julien Gosselin – Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier, Paris – du 9 au 30 novembre 2025. Durée : 10 h. avec entractes.

Dix heures de spectacle, une mise en scène du directeur du Théâtre de l’Odéon, à partir des écrits d’une autrice et dramaturge majeure du XXe siècle : c’est peu dire que l’événement était attendu. Julien Gosselin s’est fait remarquer par son adaptation des Particules Élémentaires de Michel Houellebecq. Il n’a depuis eu de cesse d’explorer la littérature sous des formes théâtrales singulières (2666, Le Passé). Avec les comédiens du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, il plonge dans l’univers de Marguerite Duras au travers de onze propositions scéniques différentes, construites autour de textes distincts qui peuvent s’appréhender indépendamment les uns des autres. L’expérience est flexible, le spectateur peut assister à tout ou partie de l’ensemble, et indolore, les nombreuses poses permettant de s’aérer. Voilà pour la logistique. L’aventure quant à elle est décapante : l’énergie des jeunes acteurs, la place donnée au texte, les gros plans sur les visages, la bande son, toutes les propositions scéniques révèlent la violence des désirs, convoquent les souvenirs et la mort. Une nouvelle image de l’écrivaine se dessine dans la séquence des textes choisis, la manière dont ils se répondent et leur contenu souvent autobiographique. Une expérience radicale à tenter assurément.

La salle accueille les spectateurs dans un dispositif bi-frontal, les ouvreuses proposent au public qui le souhaite de venir s’allonger sur la scène. Ce principe d’immersion se retrouve au fil des séquences sous des formes différentes. Les écrans suspendus, où sont souvent projetés les visages des acteurs contribuent à plonger le spectateur au cœur du récit. Tout est d’un blanc clinique. Les accessoires sont peu nombreux. En revanche, une table de mixage est bien présente sur le plateau, et la musique joue un rôle prépondérant dans le récit. Il y a du gros son, au point que des bouchons d’oreille sont distribués à l’entrée. Et c’est parti !

Il est d’abord demandé au public de fermer les yeux. Commence alors le texte de L’homme assis dans le couloir, un récit torride, à la limite de la pornographie, récité comme une danse. Suivront Savannah Bay, l’Amant, Hiroshima mon amour, La maladie de la mort, Suzanne Andler, Le théâtre, L’Exposition de la peinture, La Douleur, L’Amante anglais, La Musica deuxième pour finir sur L’homme Atlantique. Si l’angle d’approche est chaque fois renouvelé, les obsessions de l’autrice émergent et s’entrechoquent : sensualité, transgression, Indochine, race, désir, dépendance, violence, alcool, perte, mort se rejoignent sans cesse. La lecture de Julien Gosselin est violente, sa version de La maladie de la mort bouleverse beaucoup plus que celle que Katie Mitchell avait proposé aux Bouffes du Nord en 2017. Même son Savannah Bay est moins sage que celui de Didier Bezace. Le metteur en scène sait aussi s’effacer devant un texte comme celui de La douleur, dans l’adaptation de Patrice Chéreau. Les paysages décrits par Marguerite Duras, fleuve, soleil ou sable se dessinent avec une netteté rare dans l’esprit du spectateur. Le respect des mots est toujours là, dans la place primordiale donnée au texte, parfois récité d’une traite par le ou la comédienne.

Quels acteurs et actrices surtout ! Quelle générosité dans le jeu ! Ces jeunes jouent comme si leur vie en dépendait. La maladie de la mort en devient inoubliable. Et même L’homme atlantique, dont l’adaptation sonore a de quoi assommer, est porté par une comédienne fulgurante.

Un dernier mot sur Duras, incarnée par deux fois par une actrice saisissante, y compris dans sa phase vieillie, avec tics et tremblements liés à l’alcool. Le spectacle termine par L’homme Atlantique, qui place l’écriture comme seule porte de sortie possible à un une histoire personnelle qui se termine. Écrire est le pouvoir suprême pour Marguerite Duras, bien plus puissant que le théâtre « Le jeu enlève au texte, il ne lui apporte rien… il enlève de la présence au texte, de la profondeur, des muscles, du sang » écrivait-elle dans La vie matérielle. Julien Gosselin l’aura fait mentir dans un show inoubliable, où sans aucun accessoire, profondeur, muscle et sang se sont déchainés dix heures durant.

Emmanuelle Picard

Avec des élèves de la promotion 2025 du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris Mélodie Adda, Rita Benmannana, Juliette Cahon, Alice Da Luz Gomes, Yanis Doinel, Jules Finn, Violette Grimaud, Atefa Hesari, Jeanne Louis-Calixte, Yoann Thibaut Mathias, Clara Pacini, Louis Pencréac’h, Lucile Rose, Founémoussou Sissoko et la participation de Denis Eyriey, Guillaume Bachelé.

Images: Photos Simon Gosselin

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