ALI CHARHOUR, »WHEN I SAW THE SEA », UNE ODE AUX FEMMES EXPLOITÉES DANS LE LIBAN EN GUERRE

When I saw the sea – Ali Chahrour – Théâtre les Tanneurs Bruxelles, une programmation du Kaaitheater, Brussels – Les 9 et 11 décembre 2025 – Spectacle en Arabe et Anglais, surtitré en Français.
Le chorégraphe et metteur en scène Libanais Ali Chahrour, auteur notamment de May He rise and smell the fragrance (2018), Fatmeh et Leïla se meurent (2016) revient avec When I saw the sea, sa nouvelle création, une ode aux femmes exploitées dans un pays en guerre, le Liban.
On n’est pourtant pas à Bussan, mais la lumière comme dehors est au solstice au milieu du plateau pendant que le spectateur, aveuglé, attend.
Une voix off surgit. Ce pourrait être une conversation en direct sur un réseau social ou une application moderne. « Ça va Ali ? Non, ça ne va pas ! » Et effectivement, ça ne va pas. Bombes, cris, climat de guerre. « Je vis dans une école », pourvu que ce ne soit pas aussi long que la guerre civile…. Récit d’un pays en guerre. Témoignage des massacres et aussi d’une insouciance dans une autre partie de la ville. Tout le monde n’est pas à la même enseigne !
Les infrabasses sont à leur comble. On ressent le bruit des explosions dans notre propre squelette… Rania raconte, sa mère violée, elle, abandonnée à même la rue. En veut-elle à sa mère ? Non… même pas… par capillarité de situation, la narratrice transpose son propre malheur. C’est ainsi que, s’échappant du contexte, Ali Chahrour met en scène des récits de femmes abusées, exploitées, affamées…
Surgissent les chants et la voix puissante de Lynn Abid qui, aidée de Abed Kobeissy, rentrent dans le cœur – et de saluer ici la traduction de Marianne Noujeim et Chadi Aoun centrale pour véhiculer l’émotion – la chanteuse prend place et le projecteur /soleil se lève et laisse découvrir une micro-scène comme dans May He rise and smell the fragrance mais ici, au lieu de trouver Ali Chahrour à genoux au bord de la scène, presque au même endroit, ce sont deux autres femmes qui sont entremêlées comme des mendiantes, prostrées, enchevêtrées… « Oh mon peuple, ne me blâmez point » dit le chant.
Zainah prend le relais. Mince, le visage comme découpé, les traits saillants, elle opère une rotation du buste, les bras en l’air, les paumes des mains au vent, c’est la transe qui s’empare d’elle… « Reviens, l’exil n’est pas fait pour toi »…. Zainah se condamne à chercher des corps de femmes mortes « entre ciel et terre ».
Tima, troisième femme finit le cycle du récit. Les corps présentés les uns aux autres, les gestes sont erratiques. Même la danse du ventre transpire la douleur. Le bassin au sol, une danseuse mime le cœur palpitant, trahissant le coeur vivant…
Ces femmes, toutes victimes d’un système kapala viennent d’Éthiopie, du Kenya, des Philippines ou du Bangladesh, pour travailler comme domestiques dans des familles libanaises. Ce système dit de la kafalales consiste à les livrer à leurs employeurs, sans que personne ne leur vienne en aide, symbole révoltant d’un esclavagisme moderne que rien n’arrête jamais…
Avec When I saw the sea, Ali Chahrour rompt avec ses chroniques religieuses et familiales pour se concentrer sur les maux du monde en utilisant tout ce qu’il a appris avec ses premiers spectacles et il sait avec trois fois rien faire monter l’émotion, engendrer la beauté. Une entrée en matière réussie et cette langue arabe bien servie par ce spectacle et son esprit universel.
Emmanuel Serafini
Première vue au 79e Festival d’Avignon en juillet 2025


Image : Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon





















